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promener dans une partie des galeries supérieures de la rotonde, où ils ont la distraction d’admirer des portraits en pied de Louis-Philippe et de Napoléon III, qui font une singulière figure dans ce lieu saint. C’est pour affirmer nos droits de protection catholique que Louis-Philippe et Napoléon III avaient jugé à propos de faire placer leur image au Saint-Sépulcre, à côté de celle de Philippe II, fort mauvaise copie de la belle toile de Vélasquez. Les moines italiens et espagnols voudraient bien les enlever ; mais ils n’osent ! Louis-Philippe et Napoléon III représentent la succession de Charlemagne et les prérogatives séculaires de la France sur les catholiques d’Orient. Ils ont pour eux la loi ; seulement, comme il faut que toutes les prétentions et tous les prétendans se manifestent autour du tombeau de celui qui a dit que son royaume n’était pas de ce monde, les plus grosses lampes du sanctuaire viennent de l’empereur d’Autriche et du roi d’Italie, nos principaux rivaux dans l’œuvre de la protection catholique, du comte de Chambord, de sa sœur la duchesse de Parme, et d’un grand nombre de princes italiens dépossédés par des souverains de fait comme l’étaient Louis-Philippe et Napoléon III.

Personne n’ignore qu’il n’y a pas une seule pierre de l’église du Saint-Sépulcre qui n’ait été soigneusement mesurée et dont un traité en règle n’assigne la possession à telle ou telle communauté. Ce vaste édifice appartient au genre humain tout entier ; chacun y a sa province qu’il défend avec une jalousie féroce, tout en faisant les plus vifs efforts pour empiéter sur la province du voisin. L’histoire des luttes sanglantes auxquelles le Saint-Sépulcre a donné lieu n’est plus à écrire ; elle a été écrite à satiété. Mais il faut être allé à Jérusalem pour se rendre un compte exact de ces luttes, pour en avoir en quelque sorte la sensation directe. Une des causes qui rendent l’église du Saint-Sépulcre affreuse, ce sont les soins que chacun s’est donnés pour effacer, jusque dans l’architecture du monument, la trace de ses rivaux. J’ai dit que l’édicule du tombeau avait été outrageusement gâté par les Grecs. Il en est de même de la grande rotonde où ils se sont appliqués à dissimuler de jolies colonnes, qui leur paraissaient être d’un art latin, sous d’atroces maçonneries qui ne sont d’aucun art. Le chœur de l’église leur appartient : il brille par ce luxe de dorures, par cette accumulation d’icônes, par cette masse d’ornemens d’une richesse vulgaire qu’on remarque dans les églises grecques. Les Grecs ont encore plus odieusement travesti la chapelle du calvaire que Pédicule du tombeau. Au-dessus du trou où la croix aurait été plantée, trou qui est indiqué, pour que nul n’en ignore, par une plaque d’argent, ils ont dressé un Christ hideux entouré de chaque côté de deux immenses icônes dorées représentant la Vierge et saint Jean. En