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réjouir de ce qui se passe journellement au Saint-Sépulcre. L’église du Saint-Sépulcre est la seule église ; qui ne soit pas consacrée, et cela pour deux raisons, dont la première est que le sang efface la consécration, et que le sang a coulé, coule encore et coulera sans doute souvent autour d’un tombeau que la fureur des chrétiens se dispute sans cesse. La seconde raison est d’une tout autre nature, et l’on a quelque peine à l’expliquer. Comme plusieurs autres sanctuaires de religions bien différentes, l’église du Saint-Sépulcre a le privilège de guérir la stérilité chez les femmes ; or ce privilège ne s’accorde pas non plus, paraît-il, avec la consécration. Le paganisme n’a jamais connu de cérémonies plus répugnantes, l’islamisme n’en connaît pas aujourd’hui de plus superstitieuses que celles dont on est témoin à Jérusalem. Dès qu’on a franchi la porte de la grande basilique chrétienne, on se trouve en face d’une dalle en marbre de 2m,70 de1 long sur 1m,30 de large, qu’on nomme pierre de Fonction et qui a servi, à ce que l’on prétend, à l’eambumement du corps de Jésus. C’est la première station des pèlerins : les Latins s’y agenouillent, baisent la dalle, y promènent leurs mains, leurs figures, y déposent des chapelets, des mouchoirs, toutes sortes d’objets pieux ; les Grecs y font des centaines de révérences et des milliers de signes de croix ; quant aux Orientaux, ils se placent à une certaine distance, puis s’avancent graduellement en jetant leurs corps en avant de manière à exécuter une série de génuflexions épileptiques du plus curieux effet ; arrivés au but, ils se précipitent la tête la première sur la dalle ; on croirait qu’ils vont la dévorer. Je n’en finirais pas si je voulais raconter en détail tous les spectacles du même genre auxquels j’ai assisté. Ce sont toujours les Grecs qui se livrent aux plus nombreuses et aux plus vives démonstrations. On s’étonne qu’ils puissent rapporter des lèvres intactes de Jérusalem, tant ils les usent sur toutes les pierres qu’ils rencontrent. Partout où ils passent, si quelque objet les frappe tant soit peu, ils s’imaginent que c’est un objet saint et ils le couvrent de baisers. Chaque veine un peu teintée d’un marbre quelconque, chaque tache sur les murs leur paraît une relique qu’ils embrassent avec ardeur ou devant laquelle ils s’inclinent avec respect s’il est impossible de l’embrasser. Je les ai vus s’arrêter en face du panonceau du consulat français, le contempler gravement, puis se prosterner en faisant des quantités de signes de croix. Ils frottent encore plus de leur bouche que de leurs mains ou de leurs pieds tous les recoins du Saint-Sépulcre. Arrivés au calvaire, ils mettent la tête dans le trou de la croix, désespérés de ne pas pouvoir y passer le corps en entier ! Leurs offices sont remplis des plus étranges simagrées. Les célébrans valent les offices. Je n’ai jamais pu m’habituer aux popes grecs, à cause de leur longue chevelure, relevée d’ordinaire en