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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/773

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biscuits desséchés qu’ils ont apportés de Russie et qu’ils avalent après les avoir fait cuire dans un liquide quelconque. C’est à l’heure du thé que j’ai vu leur résidence ; j’ai traversé tour à tour le quartier des hommes et celui des femmes, car les sexes sont nettement séparés. Dès que mon conducteur m’ouvrait la porte d’une chambre, j’étais saisi à la gorge par une odeur indéfinissable, formée de plantes aromatiques et de toutes sortes de parfums qui n’avaient rien d’aromatique. Le spectacle des chambres était hideux. Au centre de chacune d’elles chauffait le samovar de cuivre avec un bruit sourd ; le long des murailles s’étendaient des lits d’une saleté repoussante sur lesquels étaient accroupies des formes humaines jaunes et gluantes ; les plus invraisemblables guenilles ; de la création pendaient sur ces lits. Je ne crois pas que la laideur puisse atteindre un degré supérieur à celui qu’on remarque chez les femmes de l’asile de Jérusalem. Jeunes et vieilles, on n’en rencontre pas une seule dont la vue n’inspire un invincible dégoût. À la vérité, l’aimable guide qui me montrait l’établissement russe, le chancelier du consulat de Russie, m’a expliqué que je ne contemplais là que le rebut du pèlerinage. D’après lui, les moines grecs opèrent un triage dans la partie féminine de ce pèlerinage ; ils gardent toutes les jolies femmes dans les couvens ; ils expédient les autres à l’établissement russe. Honni soit qui mal y pense ! Pour mon compte ; n’ayant pas pénétré dans les couvens orthodoxes, je ne saurais dire si les récits de mon guide sont exacts. Néanmoins rien n’est plus probable. On peut tout exagérer, sauf les vices du clergé grec. Sa cupidité atteint d’effroyables proportions. Tandis que les franciscains et le clergé latin ne réclament pas une obole des pèlerins catholiques pour les services qu’ils leur rendent, les moines et le clergé grec soumettent les pèlerins orthodoxes à la plus honteuse exploitation. Ils ont tout profit à en diriger le plus grand nombre sur l’asile russe, car ils sont bien sûrs de leur enlever quand même, et sans les moindres frais, l’argent qu’ils possèdent. On est sans cesse choqué dans les sanctuaires par le spectacle de popes acharnés à dépouiller leurs victimes. Chaque bénédiction, chaque momerie, presque chaque génuflexion, — et j’ai dit combien les pèlerins grecs en faisaient, — coûte quelque menue monnaie. Pendant l’office du jeudi saint, j’ai vu, au pied du saint sépulcre, de malheureuses femmes obligées de vider leur poche pour payer quelques simagrées que le dernier des caloyers exécutait à leur intention. Règle générale : tout pèlerin grec ne quitte Jérusalem que quand il est entièrement dévalisé. Les plus riches résistent, parfois deux ou trois ans, la moyenne quelques mois à peine. Bon an mal an, on peut compter que trois taille pèlerins au moins se rendent à Jérusalem et que chacun d’eux