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d’escroquerie ? L’envoi d’un certain nombre d’Orientaux dans les séminaires de Rome ne saurait remédier au mal ni changer des mœurs qui sont dans le sang indigène. En général les missions orientales en Occident donnent de piètres résultats. Les jeunes gens qui partent d’Égypte, par exemple, pour faire leurs études en France, y prennent les vices de l’Europe et retrouvent en rentrant au Caire ceux de leur pays. Le système est mauvais pour les ecclésiastiques aussi bien que pour les laïques. Il serait préférable d’établir à Jérusalem un séminaire indigène, non pas comme l’a fait le patriarche, un séminaire latin, mais un séminaire oriental où les jeunes prêtres seraient élevés à l’orientale, d’après les rites et les mœurs de l’Orient. Imposer le célibat à des sémites est presque impossible, du moins actuellement. C’est une entreprise téméraire que de prendre des hommes qui ont passé toute leur enfance dans la promiscuité de la vie orientale, qui ont des parens vivant encore de cette vie, dont l’existence doit s’écouler sous un climat ardent, au milieu des plus irrésistibles tentations ; des hommes d’ailleurs chez lesquels les instincts de délicatesse et d’abnégation ne pourraient être développés suffisamment qu’au bout de deux ou trois générations, et de leur imposer les règles austères du clergé d’Occident. Quant aux formes du culte, pourquoi ne pas les respecter ? L’église catholique sait aujourd’hui ce que lui a coûté la poursuite violente d’une unité extérieure qui a produit les plus cruels déchiremens intérieurs. Il faut espérer que l’œuvre de Pie IX, est bien finie et que le large esprit de Léon XIII lui permettra de laisser aux communautés d’Orient la liturgie particulière et les coutumes locales auxquelles elles sont si fortement attachées qu’on ne pourrait les en séparer sans les éloigner quelque peu du catholicisme lui-même.

Il ne serait pas impossible ! de faire comprendre à Rome des vérités aussi simples, aussi évidentes pour toute personne qui a visité la Syrie. Ce serait l’œuvre de la France, si elle reprenait, en les élargissant et en les développant, les traditions de son protectorat catholique. Les intérêts français et les intérêts catholiques sont si intimement liés en Orient qu’on ne peut ébranler les uns sans ébranler les autres du même coup. Des discussions très vives se sont élevées récemment soit dans la presse française et italienne, soit au parlement italien, sur la nature de ce protectorat. Bien des personnes en France ont prétendu qu’il n’était pas conforme à l’esprit de notre politique moderne et que nous devions l’abandonner au plus tôt. Les gens qui parlent ainsi sont les descendans de ceux qui disaient jadis : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Ils ont inventé le mot de politique rationnelle opposé à celui de politique religieuse. Rien de moins raisonnable que cette prétendue raison. Un grand pays doit être au-dessus de tous les