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injustement prétendu. Musset un imitateur de Byron ! dites plutôt un émule, et vous serez plus près du vrai. Eh ! sans doute, l’influence de Byron est sensible chez lui ; Portia, surtout la Coupe et les Lèvres, en portent la marque certaine, et il est évident que Namouna indique une prédilection toute particulière pour les strophes du don Juan. Il s’est donc inspiré de lord Byron dans tels et tels de ses poèmes absolument comme il s’est inspiré de Shakspeare dans son théâtre et de Victor Hugo dans les Contes d’Espagne, dans les mêmes proportions et pas autrement. Ajoutez encore l’influence qui naît de la sympathie et du rapport des natures ; Musset, qui s’est défendu d’avoir imité Byron, ne s’est jamais défendu de l’avoir aimé, et il l’a aimé parce qu’il était comme lui mélancolique ; mais il ne lui doit en rien la substance de sa mélancolie. C’est en toute sincérité et en toute naïveté que Musset a été mélancolique ; si sa mélancolie avait été feinte ou imitée, croyez bien qu’elle ne nous toucherait pas si fortement. Au fond, ce que Byron lui a appris de plus certain, c’est que le désespoir et la tristesse avaient leur musique propre et que cette musique pouvait être la plus puissante et la plus harmonieuse de toutes :

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.


Sauf ces influences très générales, il n’y a réellement aucune ressemblance entre les deux poètes ; différentes sont leurs physionomies, les matières de leurs chants, les mobiles de leurs tristesses. Certes Byron est autrement grand ; rapprochée de son œuvre, celle de Musset paraîtra presque composée de fragmens tronqués et de débris pareils à ces astéroïdes qui, bien que de même substance que les plus grands astres, n’en sont pas moins de simple poussière de planètes ; mais oserai-je dire que, dans l’incomplet de son œuvre, Musset est non-seulement plus sympathique, mais qu’il exprime nos souffrances morales plus directement et avec plus de vérité ? Pour prendre le poème qui vient de nous occuper, ya-t-il rien dans Byron qui aille aussi franchement au cœur des hommes de ce siècle, qui mette aussi pratiquement à découvert les plaies du monde nouveau, qui justifie avec une évidence plus pressante les cris de désespoir et les anathèmes du poète ? Ce n’est pas une matière qu’on puisse accuser d’être chimérique que le sujet de Rolla ; c’est une réalité douloureuse au premier chef qui veut des larmes et qui les obtient de tout lecteur parce que le poète ne les lui demande au nom de rien qui lui soit personnel ; il n’y a rien là pour les diables noirs du spleen et pour les vengeances de l’égoïsme irrité. L’altière