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si fort les gens accoutumés à circuler dans leurs propres voitures, mais qu’il est vraiment difficile de leur sacrifier. Cet émigré d’un nouveau genre tombe-t-il dans l’indigence qu’il côtoie sans cesse, les secours publics sont plus rares dans le nouvel arrondissement qu’il habite et plus parcimonieusement distribués. Les secours de la charité privée, qui partent presque tous du centre, y arrivent plus lentement et plus difficilement. En assainissant les quartiers pauvres du vieux Paris, on n’a donc pas plus supprimé la misère (au reste on n’a jamais eu cette prétention) qu’on n’a supprimé le bagne en le transportant de Toulon à l’île Nou. On l’a seulement éloignée de nos regards et, malheureusement, peut-être un peu aussi de nos préoccupations.

Ce qui achève de montrer que cette expulsion de la misère a lieu en vertu d’une sorte de force centrifuge dont la transformation de Paris a pu accélérer le mouvement, mais qu’elle n’a pas créée, c’est que cette émigration continue et déborde les fortifications. Cette première ceinture de misère qui environne l’ancien Paris sera bientôt enveloppée elle-même par une seconde qui envahira toute la portion de la banlieue contiguë au mur d’enceinte, La charité privée, toujours active, avait fondé, il y a quelques années, l’œuvre des faubourgs, qui a rendu de grands services avant que les villages où elle opérait fussent englobés dans l’enceinte de Paris et qui en rend encore. Bientôt il sera nécessaire qu’elle fonde une œuvre de la banlieue, et l’entreprise pour être difficile n’en sera que plus digne de ses efforts. La misère gagne en effet dans la banlieue et y fait en quelque sorte la tache d’huile. Elle s’est installée d’abord dans la plaine Saint-Denis, cette plaine hideuse et empestée, justement chère aux descriptions des naturalistes, avec ses chemins de gravats semés de tessons de bouteilles, ses jardins de légumes arrosés de purin, ses tas de fumier et ses linges sales suspendus à des cordes. D’un côté, elle dispute aux petits rentiers les villages de Clichy et de Levallois, qui sont aujourd’hui habités en partie par une population dangereuse autant que misérable. De l’autre, elle a envahi ces hameaux qui avaient autrefois dans l’imagination populaire renom de poésie et de joyeuseté, Romainville, les Lilas, les Prés-Saint-Gervais. Depuis longtemps elle s’étale dans les localités maussades de la rive gauche qui ont nom Gentilly, Montrouge, Malakof, la Californie, et n’était qu’elle respecte encore ces jolis villages situés sur les bords de la Marne et de la Seine, où les bourgeois de Paris viennent encore avec tant de délices pêcher à la ligne et manger de la friture, l’investissement serait complet. Dans cette région mal habitée on déporte les établissemens insalubres et les candidats néo-calédoniens. Il est question de fermer quelques-uns des premiers, mais il sera plus