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de son parti et que d’ailleurs ses clercs ou secrétaires avaient pris l’habitude de mettre cette suscription pour ainsi dire d’eux-mêmes. Cette réponse, où perce surtout le désir d’éluder le fond même de la question, est à la fois vague et insuffisante. Elle est vague, parce que l’accusée se garde bien de dire pourquoi les gens de son parti lui ont donné ce conseil. Elle est insuffisante, parce que la part d’initiative attribuée aux secrétaires ne peut s’appliquer qu’aux lettres ; il n’en reste pas moins à expliquer l’inscription JHESUS MARIA, trouvée sur l’anneau enlevé par les Bourguignons aussi bien que celle qui fut mise sur l’étendard. Le simple rapprochement d’un si grand nombre de faits caractéristiques nous paraît prouver jusqu’à l’évidence que Jeanne attachait à l’emploi de ces mots une vertu particulière, une signification mystérieuse. Cette vertu et cette signification, l’accusée ne crut pas de voir les révéler à ses juges ; mais les développemens où nous entrerons bientôt nous aideront peut-être à les deviner dans une certaine mesure. Quoi qu’il en soit, le fait sur lequel il importe d’insister dès maintenant, c’est que l’emploi de la suscription JHESUS MARIA dans une correspondance laïque et profane était alors considéré comme une innovation suspecte et presque sacrilège, puisque ce fut un des douze chefs d’accusation mis en avant par le tribunal de Rouen pour condamner la Pucelle.

Nous avons dit : dans une correspondance laïque et profane, car plusieurs années avant la mission de Jeanne d’Arc, une des femmes les plus extraordinaires dei cette époque, Colette de Corbie, la célèbre réformatrice des couvens franciscains de France, avait adopté le mot JHESUS comme signe distinctif et en quelque sorte comme devise de la réforme à laquelle elle a attaché son nom. Cette sainte entretenait une correspondance très active, soit avec les religieux et les religieuses des couvens qu’elle avait fondés ou réformés, soit avec des personnes séculières, affiliées au tiers ordre de Saint-François, qui avaient embrassé sa réforme. Quelques rares monumens de cette correspondance sont parvenus jusqu’à nous. On n’est pas peu surpris d’y retrouver précisément la particularité qui nous frappait tout à l’heure dans les documens émanés de la Pucelle. En tête de chacune de ces lettres figure la suscription JHESUS OU JHESUS MARIA, parfois avec l’addition FRANCISCUS ET CLARA. L’adresse même est le plus souvent précédée ? du mot JHESUS. L’emploi habituel de cette suscription est-il le seul trait commun entre Colette et Jeanne ? Le réveil éclatant du patriotisme, qui s’est personnifié dans la vierge de Domremy, ne se rattache-t-il pas par un lien plus ou moins étroit au mouvement d’exaltation mystique provoqué sur certains points de notre pays par la réforme colettine ? Avant de répondre à ces questions, essayons de retracer dans ses