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lignes principales la physionomie d’une sainte qui fut certainement la plus grande extatique de la fin du moyen âge.

Née à Corbie le 13 janvier 1381 et fille d’un charpentier nommé Robert Boylet, instituée par Benoit XIII, en 1406, réformatrice générale des filles de Sainte-Claire, abbesse du couvent de Besançon en 1410, sainte Colette, de 1412 à 1447, date de sa mort, ne fonda pas moins de dix-huit couvens nouveaux, sans compter ceux où elle introduisit sa réforme, et fit bâtir, au rapport d’Olivier de la Marche, trois cent quatre-vingts églises. Dès 1406, la recluse de Corbie était déjà l’objet d’une telle vénération que le pape Benoît XIII, lui donnant audience à Nice, se levait de son trône en sa présence et allait même, s’il faut en croire quelques hagiographes, jusqu’à se prosterner devant elle. Colette entreprit la réforme des couvens d’hommes aussi bien que celle des couvens de femmes. Pendant plus de quarante ans, elle exerça sans relâche un véritable apostolat monastique, et ce fut surtout grâce à ses efforts que l’on vit refleurir par toute la France dans sa pureté primitive la règle de Saint-François. Tandis que Bernardin de Sienne et Jean Capistran se dévouaient en Italie au rétablissement de l’observance, une simple femme assuma la même tâche de ce côté des Alpes et, à force de persévérance ou plutôt, ce n’est pas trop dire, à force de génie, réussit à l’accomplir.

Nous avons peine aujourd’hui à nous faire une idée de l’enthousiasme que cette extatique sut inspirer à ses contemporains. C’est que nulle religieuse franciscaine, pas même sainte Claire, ne ressembla davantage au fondateur presque divin de l’ordre séraphique et moralement ne l’approcha de plus près. Pour Colette comme pour François d’Assise, la pauvreté volontaire était l’idéal de la vie chrétienne, le fondement même de la perfection morale et, comme elle se plaisait à le répéter, une vertu toute divine. Elle ne se lassait pas de recommander cette vertu à ses filles, ainsi qu’aux religieux qui avaient adhéré à sa réforme ; et dès qu’elle en parlait, elle semblait pour ainsi dire transfigurée par une illumination intérieure. Une flamme céleste brillait dans ses yeux et le souffle irrésistible de l’inspiration, rompant le sceau du silence monastique, faisait frémir ses lèvres. Malheureusement la lame avait usé le fourreau, et à peine avait-elle prononcé quelques mots que l’émotion étouffait sa voix. Elle tombait alors dans une sorte d’extase, mais les larmes qui coulaient en abondance sur ses joues amaigries étaient plus éloquentes que toutes les paroles.

Colette imitait le saint qu’elle avait pris pour modèle non-seulement dans ses austérités effrayantes, dans ses jeûnes surhumains, mais encore dans son infinie douceur et sa tendresse fraternelle pour certains animaux. A l’exemple du grand ascète de l’Ombrie,