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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/934

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à venir le trouver ; le 10 janvier 1759, il était nommé secrétaire de l’ambassade de Naples à Paris.

Je ne sais si, comme le disent MM. Lucien Perey et Gaston Maugras, « cette nomination comblait tous les vœux de l’abbé, » M. Bazzoni prétend que ce lui fut un crève-cœur, mais, à coup sûr, son arrivée fut un désenchantement. C’est à peine s’il a mis le pied sur la terre de France qu’il se trahit déjà comme un observateur malveillant. Sur la route d’Antibes à Aix, il a compté les passans et n’en a pas trouvé, sur une longueur de 130 milles, plus de soixante-dix ou quatre-vingts. La Provence est inculte. Serait-ce dans les Calabres, par hasard, qu’une agriculture prospère et des populations nombreuses auraient émerveillé ses yeux d’économiste ? Une fois à Paris, c’est bien une autre affaire. « L’air malsain et pesant, l’eau mauvaise, d’incroyables variations de climat, pas de glaces, pas de fruits, pas de fromage, pas de coquillages, » que de supplices pour un homme qui vient de Naples en droiture, et son tempérament napolitain avec lui ! Les habitans ne valent pas mieux que leur climat. « Autant vaudrait compter les vagues de la mer que de chercher à connaître toutes les niaiseries d’un peuple aussi plein de légèreté que de fougue. » Et pour les ministres : « Mardi passé, on me fit voir au duc de Choiseul, qui pendant une courte seconde voulut bien me regarder. Je ne veux pas croire, en vérité, qu’il examine les affaires comme il m’a examiné. Ce serait trop de légèreté. » Il veut rire, mais la plaisanterie manque de trait : la pointe en sera restée dans la blessure. Ce qui l’attristait, en effet, je veux bien que ce fussent les outrages auxquels était chaque jour exposé son « pauvre sens commun ; » mais c’était surtout le peu de cas que l’on semblait faire de sa personne, tant adulée, tant caressée, tant choyée là-bas, dans les environs du môle, au café Nicolino ! A Paris, disait-il piteusement, « ils ne regardent pas les secrétaires d’ambassade. » Il faut donc qu’on le rappelle, ou c’est un homme mort. On ne le rappela point, et il vécut, et il s’acclimata.

Les circonstances lui vinrent en aide. Une absence de son ambassadeur, le comte de Cantillana, marquis de Castromonte, lui valut le titre de chargé d’affaires. Il entra par là, naturellement, en rapports plus directs avec le duc de Choiseul. Il faut voir la joie déborder de ses lettres : « Non, je ne crois pas, écrit-il à Tanucci, que Votre Excellence s’imagine tout le bien qu’elle m’a fait… Je marche maintenant de par avec les ministres de Portugal, de Suède, de Russie… J’ai ma place dans la chapelle du roi et, pour tout dire, je suis l’égal du prince Galitzin. » Le voilà désormais plus d’à moitié sauvé.

Nous commençons à connaître le personnage. Le prendrons-nous