Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/935

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus au sérieux dans ses fonctions de chargé d’affaires que dans son rôle d’abbé mitré ? Ce serait nous laisser entraîner un peu loin que d’essayer de répondre. Disons toutefois qu’alors les intérêts de la cour de Naples étaient comme enchevêtrés dans les intérêts de la cour d’Espagne, quoiqu’ils en fussent publiquement, officiellement détachés. C’était en octobre 1759 seulement que Charles VII, devenu roi d’Espagne sous le nom de Charles III, avait abdiqué le trône de Naples en faveur de son troisième fils, Ferdinand, âgé de huit ans. Et ce qui nouait encore plus étroitement les liens entre Madrid et Naples, c’est que Choiseul négociait avec l’Espagne ce fameux pacte de famille qui devait unir dans une action politique commune toutes les maisons de Bourbon. Les grandes affaires donc se traitaient entre la France et l’Espagne et passaient en quelque sorte par-dessus la tête de notre abbé. Son vrai département, c’était la chronique diplomatique. Il était bien le secrétaire de l’ambassade de Naples, mais il était surtout la gazette officieuse de Tanucci. Ce dut être plus d’une fois, j’imagine, de quoi gêner son ambassadeur, ainsi placé sous l’œil malin d’un subalterne, mais peut-être n’est-ce pas de quoi prendre rang dans la grande histoire. Au surplus, nous laisserons à ses éditeurs, — qui nous promettent la traduction de toute cette correspondance officieuse, et qui sans doute y voudront insérer quelques parties au moins de correspondance officielle, — le soin d’examiner et de résoudre la question.

Fort de ces premiers succès, Galiani se reprit à la vie. Quelques malédictions contre la France et les Français lui échappaient bien encore de loin en loin, mais, insensiblement, et quoi qu’il en eût, le charme opérait. Il opérait même si bien qu’un jour Tanucci s’étonna comment ce grand amour avait succédé si vite à tant de haine. L’abbé était devenu Parisien.


II

Ce fut ce brave homme d’abbé Morellet qui le présenta chez Mme Geoffrin. « Songez, lui écrivait Galiani, en mai 1770, songez que vous êtes ma première connaissance de Paris ; vous êtes pour moi, je ne saurais me le rappeler sans verser des larmes, primogenitus mortuorum, l’aîné de ceux que j’y ai perdus. C’est à vous que je dois la connaissance de Mme Geoffrin, de d’Alembert et de tant d’autres. » L’accès chez Mme Geoffrin, c’était comme qui dirait l’entrée, par la porte officielle, « au corps des philosophes ; » connaître d’Alembert, c’était connaître Mlle de Lespinasse ; ici là, et ailleurs, l’abbé n’eut qu’à paraître pour vaincre. Sa petite taille même le servit : « Je n’oublierai jamais, écrivait-il à Mme d’Epinay,