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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/936

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l’attendrissement maternel, : uni au rire le plus fou, qui vous prit à votre maison de campagne en voyant étendue sur mon lit une de mes chemises. Il vous paraissait impossible qu’il y eût quelqu’un assez présomptueux pour oser s’appeler un homme avec une chemise aussi courte et aussi ridicule. » L’histoire de ses succès, je n’ai point à l’écrire : vous la trouverez dans la plupart des Mémoires et Correspondances du temps.

J’ai dit dans la plupart, et non pas sans intention. Voici quelque chose, en effet, qui m’inquiète sur la qualité de son esprit. Je ne vois pas que Galiani, tout diplomate qu’il soit, et des bons amis du baron de Gleichen, ministre de Danemarck, l’un des habitués de Mme du Deffand, fréquente beaucoup chez la marquise.

Aujourd’hui, nous confondons toutes ces coteries ensemble, et c’est à peine, en vérité, si nous distinguons le monde de la maréchale de Luxembourg de la société de Mme d’Épinay. Ce qui est vrai, c’est qu’alors, comme aujourd’hui, quelques hommes de lettres, — je nommerai Duclos, par exemple, et quelques diplomates, j’ai nommé le baron de Gleichen, — formaient un trait d’union entre ces sociétés, et que par eux elles se touchaient. Mais elles ne se mêlaient pas. Rien de plus naturel. Prenez la Correspondance de Mme du Deffand d’une part, et de l’autre les Mémoires de Mme d’Épinay ; lisez les Lettres de la duchesse de Choiseul à Mme du Deffand, c’est l’une des plus jolies correspondances du XVIIIe siècle, et lisez la Correspondance de Diderot avec Mme Volland, c’en est l’une des plus vivantes, ou précisément la Correspondance de Galiani avec Mme d’Epinay : ce n’est pas seulement de volume ou de lecture que vous aurez changé, c’est de monde. Mme du Deffand n’est pas prude, à ce que je pense, mais elle conserve exactement le ton de la bonne compagnie. Le libertinage de la pensée ne se traduit, ni dans les lettres qu’elle écrit, ni dans les lettres qu’elle reçoit, par la grossièreté du langage. Il y a des mots qu’elle n’emploie pas et qu’on n’emploierait pas impunément avec elle. Voltaire lui-même, ce Voltaire à qui sa vieille amitié pardonne tant de choses, il a de la tenue, pour ainsi dire, dans les lettres qu’il lui adresse, Cette discrétion est le fond même de l’esprit français, cette mesure, cette élégance. On prête à la duchesse de Choiseul un mot sur notre abbé : « En France, disait-elle, nous avons de l’esprit en petite monnaie ; en Italie, ils l’ont en lingot. » C’est cela même, de l’esprit en lingot, de l’esprit qui n’est pas affiné, de l’esprit qui n’est pas au titre et qu’un utile alliage n’a pas lesté, si je puis dire, de ce qu’il faudrait de bon sens et de raison pour qu’il fût le véritable esprit français.

Relisons là-dessus le dialogue du cardinal et de son espion :