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se connaissaient pas. Ce petit homme les secoue si bien, si ferme et si fort qu’il les arrache à leur fonds de tristesse et d’ennui. Car ils s’ennuient tous tant qu’ils sont, ne vous y trompez pas, ils s’ennuient même mortellement. Ce siècle a l’air de s’amuser, mais il s’ennuie. Galiani les distrait d’eux-mêmes. Et ils lui sont reconnaissans de ce qu’il les fait rire, et après tout il n’ont pas si grand tort, car enfin c’est toujours quelque chose de faire rire les gens. Reste à savoir, il est vrai, de quels moyens on se sert ; et quoique de notre temps il importe peu comment l’on s’amuse, pourvu que l’on s’amuse, la qualité du divertissement, cependant c’est bien quelque chose aussi ! Je crains qu’au Grandval on ne fût pas bien difficile, Si le lecteur était curieux des faits sur lesquels j’appuie ce jugement sommaire, il m’est impossible de citer, et je suis obligé de le renvoyer à la Correspondance de Diderot.


III

Les mêmes causes qui avaient fait la réputation de l’abbé firent le succès de ses Dialogues sur le commerce des blés.

« L’immense succès » des Dialogues de l’abbé Galiani ; « la vogue prodigieuse » des Dialogues de l’abbé Galiani, « le triomphe par-dessus les nues » des Dialogues de l’abbé Galiaini, telles sont, ou à peu près, les expressions consacrées des historiens de la littérature quand ils arrivent au moment de la publication des Dialogues de l’abbé Galiani. Mais où sont les preuves de cet « immense succès ? » et, de cette « vogue prodigieuse, » où sont les témoignages ? On cite Voltaire, on cite d’Alembert, on cite Grimm, on cite Diderot. Comment donc le livre ne put-il pas atteindre sa deuxième édition ? Vous allez répondre par la difficulté de la matière et le peu d’intérêt que le grand public pouvait prendre à ces discussions entre économistes. La difficulté de la matière n’avait pas empêché l’Ami des hommes de monter au chiffre de cinq éditions en cinq ans. Aussi bien, la prétention de Galiani comme la louange qu’on lui décerne, quelle est-elle, sinon d’avoir vaincu la difficulté de la matière ? Le succès ne fut donc pas si vif ? Je puis même ajouter que l’ouvrage fut en quelque sorte repoussé ou tenu du moins à distance par cette fraction de la société parisienne qui n’avait pas pu goûter l’esprit de l’abbé. Au commencement de 1770, Mme du Deffand écrivait à Voltaire : « Quel est donc l’ouvrage qui est actuellement sur le tapis ? Il doit m’amuser beaucoup. C’est donc quelque chose de gai et de frivole ? Et ce ne sera pas sur une certaine matière, sur laquelle il ne reste rien à dire ? et ce ne sera pas non plus un traité économique, ni des préceptes sur l’agriculture ? Vous sentez bien que, quand on habite un tonneau dans le coin de