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volontairement traversées pour s’affranchir de la nature et dominer sur elle. C’est dommage seulement que toute sa sagesse ne procède que de son égoïsme.

Je suis bien obligé de le discuter comme on ferait un demi-grand homme et de le serrer de près, puisqu’il s’agit justement d’empêcher qu’on nous le transforme ainsi. On a vanté sa perspicacité. Le fait est qu’elle est singulièrement en défaut quelquefois. On a cité souvent et souvent encore on citera ce pas sage : « Dans cent ans (la lettre est datée de 1771) le pape ne sera plus qu’un illustre évoque, et point prince ; on aura rogné son état petit à petit. » Mais il faut ajouter ce qui suit : « Il n’y aura pas beaucoup de troupes sur pied, et presque point de guerres. Les troupes manœuvreront à plaisir pour la parade, mais ni soldats ni officiers ne seront ni féroces ni braves. Les forteresses tomberont « en ruines. » Les remparts deviendront partout de belles promenades en quinconces… » Voici sans doute une autre prophétie qui ne paraîtra pas moins heureuse


Catherine fera fort bien d’écraser les évêques si cela lui réussit. Moi, je n’en crois rien ; je crois que les Russes écraseront les Turcs par contre-coup, et ne feront qu’agrandir et réveiller le Polonais, comme Philippe II et la maison ! d’Autriche écrasèrent l’Allemagne et l’Italie en voulant troubler la France et ne firent qu’ennoblir votre nations voilà mes prophéties.


C’est au mois de juin 1771, à la veille des fameux partages de la Pologne, que Galiani lit si clairement dans l’avenir. Son ministre a bien fait, dans le temps que l’abbé exerçait, de ne pas lui confier de trop grandes affaires.

En quelques endroits seulement de la Correspondance je trouve l’abbé naturel ; c’est en matière d’affaires, comme il dit, merliniques et castromontiques. Il avait vendu le manuscrit de ses Dialogues au libraire Merlin, cent louis, et il devait à son ancien ambassadeur, le marquis de Castromonte, une part de cette somme. On n’a jamais poursuivi plus âprement une rentrée de fonds, ni jamais plus délibérément on n’a décidé d’acquitter une dette sur cette rentrée, non sur aucune autre. Les revenus de ses deux places et de ses trois ou quatre abbayes ne laissaient pourtant pas de faire une-somme respectable. Les cent louis de Merlin, pendant un an, sont, avec les Dialogues, le fond de sa correspondance.


« Ce Merlin serait-il un économiste caché, comme il y a des jésuites cachés ? » — « Vous m’annoncez qu’on ne peut pas négocier mes