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La lettre du ministre a été considérée comme non avenue, car, à l’heure qu’il est, les arrêts de Louis-le-Grand reçoivent encore des écoliers et sont restés à peu près ce qu’ils étaient de mon temps[1].

Ce n’était pas seulement pour nous un lieu de punition et de souffrance, c’était un lieu sinistre qui avait sa légende. Nous nous racontions qu’un de nos camarades, élève de sixième, avait été mis aux arrêts un dimanche. Au lieu d’aller dans sa famille, il gravit les cinq étages et fut clos en cellule. C’était un enfant nerveux ; il se désespéra. Lorsque le son du tambour vint l’avertir que la messe était terminée et que l’instant de la sortie était venu, il perdit la tête, Il détacha sa cravate, l’accrocha aux barreaux de sa fenêtre et se pendit. Quand on ouvrit sa porte, à midi, pour lui donner la soupe et le pain, il était mort. Cette légende, inventée par je ne sais qui et dont nous savions tous les détails, ajoutait encore à l’odieux du séjour aux arrêts ; pour nous, toutes les cellules étaient la cellule du pendu, et nous regardions avec terreur, parfois avec envie, les barreaux à l’aide desquels il avait mis fin à son supplice. Bien souvent, pensant à ces heures de collège, à la brutalité des punitions, à la grossièreté des procédés, je me suis dit que, pour ne pas sortir mauvais et perverti de ces maisons, il fallait que l’enfant eût un fond de bonté inépuisable. Un vieux pédagogue, auquel j’en parlais, m’a répondu : « La bonté n’y est pour rien, l’insouciance suffit. »

C’était bien plus aux maîtres d’étude, — aux pions, — qu’aux professeurs, que nous étions redevables de ces châtimens sans merci. Le contact de l’enfant avec le professeur est presque toujours empreint de cordialité. Nos professeurs étaient, sauf de très rares exceptions, des hommes de savoir, d’esprit un peu étroit, mais de façons bienveillantes. Je me rappelle un professeur de huitième qui nous disait : « Ne me forcez pas de vous punir, » et ne nous punissait pas. Il se nommait Frin. C’était un breton bretonnant qui, lorsqu’il parlait de son pays, disait avec emphase : « La noble terre d’Armorique. » Sa petite taille, une légère obésité, ses cheveux grisonnans et frisottans, son teint rosé, son visage arrondi lui donnaient l’apparence d’un abbé plus assidu aux ruelles qu’aux offices. Le petit père Frin, comme nous l’appelions, était courtois et d’humeur assez joviale ; parfois cependant il devenait rêveur et, semblant répondre à quelque pensée intérieure, il disait : « La langue française est pleine de mystères ; il faut être un génie pour

  1. J’y sois retourné le 16 mai 1881 ; un poêle en fonte placé dans une pièce intermédiaire doit les rendre moins froids en hiver. Il ne s’agit pas de les améliorer, il faut simplement les supprimer.