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Pour lui, la puissance souveraine réside dans l’ensemble même des citoyens, qui la délègue par voie de suffrage. La nation choisit elle-même la forme et le chef du gouvernement qui lui conviennent. C’est la théorie actuelle de l’appel au peuple ; il n’en eut jamais d’autre, et la guerre de pamphlets, guerre souvent redoutable qu’il fit à la dynastie de juillet, avait pour origine le vote restreint d’une chambre de députés incomplète qui appela Louis-Philippe au trône. Dès que la branche aînée des Bourbons fut tombée, on proposa à M. de Cormenin le ministère de l’instruction publique ; non-seulement il refusa, mais il envoya sa démission de député « parce qu’il n’avait pas reçu de ses commettans mandat pour élire un roi. » Cela fit grand bruit à l’époque. Tout le monde disait : « Cormenin est fou ! » Non, il était logique et obéissait à la conviction raisonnée qui, plus tard, lui fit accepter, sans hésitation, le rétablissement de l’empire appuyé sur le suffrage universel. Il y avait cependant une certaine incohérence dans ses idées, et, plus d’une fois, il dut éprouver quelque peine à les mettre d’accord. Il avait des velléités de jacobin et n’admettait dans le pouvoir législatif qu’une seule chambre : la chambre basse ; toute chambre haute, — pairie ou sénat, — lui semblait inutile ou dangereuse. D’autre part, il était catholique, catholique fervent, catholique ultramontain ; il considérait l’église gallicane comme une sorte de schisme et condamnait la déclaration de 1682. Avec de telles opinions, on comprend que tous les partis finirent par le renier : les légitimistes, parce qu’il repoussait la chambre haute ; les orléanistes, parce qu’il combattait le roi choisi par la chambre basse ; les républicains, parce qu’il défendait les droits de l’église. Comme il était de bonne foi et d’une imperturbable probité, il laissa dire et ne se soucia pas de tant de rumeurs. Ses pamphlets sont oubliés aujourd’hui, à peine se souvient-on de ses Orateurs parlementaires, mais son Cours de droit administratif restera un livre d’histoire à consulter, car il fixe une époque et a, le premier, coordonné les ordonnances, les lois, les décisions, alors éparses, qui règlent la matière. C’était un homme d’apparence un peu lourde, ayant les beaux yeux et la forte mâchoire de tous les Cormenin ; d’allures naïves, parfois même un peu niaises, il était d’une finesse extrême et d’un esprit mordant. Il cherchait le trait et savait le trouver. Sous des apparences très douces il cachait une volonté dont la fermeté ressemblait souvent à de l’entêtement. Il écoutait, souriait, faisait un signe de tête approbatif et, lorsque l’on croyait l’avoir convaincu, prouvait par un seul mot qu’il restait imperturbable dans son opinion. Jamais je n’ai vu un homme professer pour les femmes, pour leur futilité, leur bavardage, leur