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UNE
LOI AGRAIRE
AU XIXe SIECLE

L’IRLANDE ET LE LANDBILL DE M. GLADSTONE.

« Vous nous accusez de socialisme, disait à un libéral anglais l’un des promoteurs des lois agraires de Russie et de Pologne sous Alexandre II, et un jour peut-être, malgré tout votre respect de la propriété, vous vous ferez nos imitateurs[1]. » Cette prophétie moscovite, accueillie avec une railleuse incrédulité, les Anglais qu’elle eût le plus surpris sont en train de la réaliser. A Londres comme à Dublin, sur les lèvres des ministres de la reine comme dans les meetings de la landleague, on entend citer comme un modèle digne d’admiration l’exemple donné par l’autocrate du Nord. Dans le pays du monde où les droits de la propriété semblent le plus solidement établis et où les propriétaires ont le plus d’ascendant social, dans le pays où les doctrines économiques et la science d’Adam Smith ont le plus d’autorité, un cabinet libéral dont les chefs n’ont rien de révolutionnaire a présenté pour l’Irlande un bill agraire dont les conditions ont fait l’étonnement de l’Europe, et ce bill, qui eût semblé inouï il y a quelques années, a été voté par une énorme majorité à la chambre des communes. La loi agraire, qui a pour avocats les ministres de la reine Victoria, a pour panégyristes les

  1. Voyez un Homme d’état russe, d’après sa correspondance inédite, dans la Revue du 15 février.