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méconnu. En effet, ce travail ne pouvait être exposé d’une manière plus défavorable ; et nous devons regretter que, chez nous, on ne soit pas encore arrivé à faire voir les ouvrages destinés à la décoration à peu près dans les conditions où ils seront placés. Voilà une réforme nécessaire et que les artistes se doivent à eux-mêmes de réaliser si le soin d’organiser les expositions annuelles leur est définitivement remis. C’est livrer au hasard une peinture qui a été conçue et exécutée comme un plafond que de la montrer attachée à la muraille ainsi qu’un simple tableau. Tout, alors, en devient difficile à comprendre, les lignes et l’effet. La perspective en paraîtra singulière et peut-être défectueuse, surtout pour l’architecture, au cas où celle-ci tient une place importante dans la composition. Il en sera de même des figures parce que, pour apprécier leurs raccourcis aériens, on ne peut se placer à un point de vue convenable. Il faut dire encore que la bordure provisoire dans laquelle M. Baudry a encadré son ouvrage n’est pas sans nous en gâter l’aspect. Elle manque de relief : c’est une bande d’or mise à plat et elle ne limite pas bien le sujet parce que, ni par son profil ni par sa valeur de ton, elle n’a une fermeté suffisante. Ajoutons que le programme imposé au peintre, une allégorie qui n’est qu’un de ces jeux de raison dont on ne veut plus, dit-on, pouvait laisser le spectateur un peu froid. en bien ! il ne s’est passé rien de tel. On a été frappé tout d’abord par les qualités supérieures et hautement personnelles de l’artiste ; on a été entraîné par ses nobles aspirations, et la plus vive faveur s’est aussitôt attachée à son ouvrage. C’est là, constatons-le, une heureuse épreuve. Ainsi, le public, dont on accuse quelquefois le goût et auquel on impute si souvent les défaillances de notre école, le public a montré qu’il a parfaitement le sentiment du grand art. La noble ambition de M. Baudry, qui est d’élever toujours de plus en plus et sa pensée et son talent, a été immédiatement récompensée par un brillant succès.

Il faut se borner à donner une idée générale de cette grande composition ; c’est tout ce que l’on peut faire avec des mots quand il s’agit d’une œuvre d’art véritable. La Loi est assise sur un trône élevé qui s’adosse à une riche architecture. Au-dessus d’elle volent deux figures qui portent des attributs symboliques : à sa droite, paraît la Justice avec ses balances ; à sa gauche, l’Équité, qui d’une main porte la règle et de l’autre une couronne d’or. Au pied du trône et en arrière se tient l’Autorité. Au premier plan, on voit d’un côté la Jurisprudence et de l’autre un magistrat en robe rouge : ces deux personnages ont les yeux fixés sur la Loi. Enfin, tout à fait en avant, la Force assise à terre s’appuie sur un lion ; l’Innocence est endormie dans les plis de son manteau. M. Baudry a mis dans cette