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diplomatie aux moyens termes. En toute conjoncture, il aimait à biaiser, à gauchir, à tergiverser ; il s’appliquait à gagner du temps, ce qui lui en faisait perdre beaucoup ; en général, il était de l’opinion du dernier qui lui parlait, il cherchait la sienne, il ne la trouvait pas toujours. Dans des circonstances ordinaires, il eût été très suffisant, mais les circonstances n’étaient pas ordinaires.

Un autre personnage marquant était le directeur-général de la police, très actif, très ambitieux, qui savait son métier, à cela près qu’il était trop enclin à grossir les petites choses, à éventer des complots imaginaires, à découvrir partout des conspirations de communistes. Corpulent, replet, le visage plein et bouffi, dissimulant sa calvitie sous une vaste perruque rougeâtre qui était toujours de travers, ce priseur déterminé s’était rendu célèbre par ses mouchoirs à carreaux rouges ou bleus. Il s’appelait M. Wermuth et on l’avait surnommé le baron Bitter. Quant au ministre de la justice, M. de Bar, c’était un bon vivant dont les distractions étaient prodigieuses. Un soir qu’il y avait chez lui grand raout, pendant qu’une brillante société allait et venait dans ses salons, il s’approcha en tapinois du secrétaire de la légation autrichienne et, lui prenant le bras : « Tâchons de nous échapper sans être vus, lui dit-il, car on s’ennuie ici à périr. — Mais mon Dieu ! Excellence, nous sommes chez vous, lui repartit le secrétaire. — Je crois vraiment que vous avez raison ; répondit le ministre, et me voilà forcé de rester. Heureux garçon, sauvez-vous bien vite. » En dépit de ses distractions et grâce au zèle de ses employés, M. de Bar s’acquittait convenablement de sa charge, et la justice était rendue en Hanovre aussi bien qu’ailleurs. Sans doute il y avait des mécontens. La noblesse regrettait ses anciens privilèges, les administrés protestaient contre les routines de la bureaucratie ; la bureaucratie, de son côté, se plaignait que les ministres la dérangeaient quelquefois dans ses habitudes, et les libéraux réclamaient à cor et à cri le gouvernement parlementaire, qu’on était bien décidé à leur refuser. Mais, en définitive, le ménage était bien conduit, la machine fonctionnait sans secousses et sans trop de frottemens, et les plaignans n’auraient pas mis l’état en danger s’il n’y avait eu en Allemagne une puissance attentive à exploiter tous les mécontentemens pour arriver à ses fins et satisfaire ses convoitises. Il est facile de se moquer des petites monarchies comme dés petites républiques ; mais quand on les aura toutes supprimées, il y aura moins de bonheur dans le monde.

L’homme le plus distingué du royaume était le roi, et à coup sûr il en était le plus beau. La pureté classique de son proül, la noblesse de son maintien, sa superbe prestance frappaient d’admiration et ses sujets et les étrangers admis à l’honneur de le voir. Devenu aveugle tout jeune encore, par la fatale maladresse d’un chirurgien, il ne laissait pas d’être un cavalier accompli. Il semblait oublier sa cécité et la