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pétue une équivoque qui ne commencera à se dissiper que le jour où, dans les limites de la république constitutionnelle, — nous ne demandons rien de plus, — il s’élèvera des hommes, des groupes décidés à s’occuper moins de la domination d’un parti et de la manière d’assurer cette domination que des affaires du pays, des intérêts de la France.

Aussi bien les affaires ne manquent pas, même au milieu des préoccupations électorales qui commencent, et une des plus sérieuses certainement est cette affaire d’Afrique, qui est loin d’être claire, qui ne fait peut-être que se compliquer de jour en jour. L’expédition de Tunis semble à peu près terminée sans doute, au moins dans sa phase militaire. Le traité qui a été signé règle les nouveaux rapports du bey avec la France, et une partie du corps expéditionnaire a pu déjà être rappelée. Malheureusement les affaires de Turquie ne sont peut-être finies qu’en apparence, à en juger par l’agitation qui se manifeste dans la régence voisine de Tripoli, qui est encouragée par la Turquie ; elles ont en même temps masqué ce qui se passe sur d’autres points de l’Afrique, particulièrement dans le sud de la province d’Oran, à la frontière du désert, où tout semble assez grave. Il y a deux choses certaines, c’est que, dans ces régions, il s’est élevé un chef disposant de forces assez nombreuses, pillant, rançonnant, massacrant, emmenant des prisonniers, et que, d’un autre côté, nos colonnes semblent jusqu’ici impuissantes à réprimer ce commencement d’insurrection. Or de cette situation, du décousu des opérations qui ont été entreprises, de toute cette crise que traverse notre colonie algérienne, naissent des problèmes dont on ne peut plus se détacher, qui intéressent la sûreté de notre domination, qui remettent plus que jamais en cause ce gouvernement civil qu’on a cru devoir donner à l’Algérie et qui a si peu réussi.

Ce que pourront devenir ces affaires africaines si brusquement réveillées et un moment compliquées par l’expédition de Tunis, on ne le voit pas trop encore. La question a sans doute avant tout un caractère essentiellement français par les intérêts de sécurité et d’influence légitime qu’elle implique pour notre pays campé depuis un demi-siècle sur l’autre rive de la Méditerranée. Elle a manifestement aussi, jusqu’à un certain point, un caractère extérieur et diplomatique par le retentissement qu’elle a eu, qu’elle a encore dans des pays comme l’Angleterre et l’Italie, sans parler même de la Turquie. Elle a un instant éclipsé dans les préoccupations de quelques politiques de l’Europe les affaires de Grèce, aussi bien que les affaires de Bulgarie. L’émotion ne s’est pas produite partout, il est vrai, avec la même vivacité ; elle ne tardera pas probablement à se calmer en Angleterre, et par la manière dont ils répondent aux interpellations qui se succèdent depuis quelques jours dans le parlement, les ministres, M. Gladstone, lord Granville, le sous-secrétaire d’état sir Charles Dilke montrent suffisamment qu’à leurs yeux ce qu’il y aurait de mieux à faire serait de ne pas revenir sans cesse sur une question délicate.