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voulait exclure ces partis, « débris des gouvernemens déchus… qui ne cherchent à pénétrer au cœur de nos institutions que pour en violer le principe et n’invoquent la liberté que pour la tourner contre l’état… » C’est exactement ce que dit M. Jules Ferry. Pour M. le président du conseil, l’idéal serait une assemblée d’où l’opposition serait bannie, où il n’y aurait que des républicains, comme pour M. de Persigny l’idéal était un corps législatif où tout le monde devait être impérialiste. Cela prouve simplement que dans tous les temps, sous tous les gouvernemens, l’esprit de parti se manifeste par les mêmes passions exclusives, par la même prétention d’éliminer des adversaires sous prétexte d’une irréconciliabilité dont on se réserve de fixer la mesure.

Autre parole qui aurait peut-être besoin d’explication dans ce programme d’Épinal. Le chef du cabinet, tout en proclamant la nécessité de l’union du parti républicain, traite avec hauteur le radicalisme ; il lui refuse toute participation sérieuse dans la fondation de la république, dont il fait honneur à la « politique modérée. » — Non, dit-il, « ce n’est pas le radicalisme qui a fondé la république, ce n’est pas avec les idées et les procédés du radicalisme qu’on a fait vivre et gouverné la France républicaine depuis cinq ans. » Soit ; M. le président du conseil, en s’exprimant ainsi, rend témoignage de cet instinct de gouvernement qu’il sent vaguement en lui. Il montre de plus quelque sagacité en mettant la modération dans le programme qu’il porte en province, en flattant ce qu’il appelle la « sagesse provinciale. » Il sait bien que, si le radicalisme peut trouver de l’écho dans certaines régions incandescentes, dans quelques grandes villes, tout ce qui est extrême et violent répugne au bon sens de cette masse nationale, de cette immense majorité du pays, qui ne demande qu’à être protégée dans son travail, dans son industrie, dans sa sécurité, qui redoute les agitations parce qu’elle en souffre. Bref, M. Jules Ferry parle le langage qu’il croit le mieux fait pour plaire au pays, et, reprenant le vieux mot de M. Guizot disant autrefois que toutes les politiques promettaient le progrès, que la politique conservatrice seule pouvait le donner, M. le président du conseil dit à son tour : « Les grands problèmes, ce n’est pas le radicalisme qui les résoudra ; s’ils sont résolus, ils le seront par les modérés. » La question est seulement de savoir ce que M. le président du conseil entend par la « politique modérée. » Est-ce que la « politique modérée » consisterait à satisfaire le radicalisme en paraissant le désavouer, à se servir de quelques-uns des procédés, des moyens administratifs de l’empire en honnissant l’empire, à introduire l’esprit de parti et de secte dans les lois, dans les conseils, sous prétexte de faire la guerre au cléricalisme, à exclure, pour cause d’irréconciliabilité supposée, des opinions libérales et indépendantes ? » Avec tout cela, M. le président du conseil s’expose à n’être ni un politique modéré ni un homme de gouvernement, comme il en a l’ambition, et à ne mettre qu’un mot séduisant dans son programme. Il per-