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intitulé : Mes Visites à l’Académie est un tableau de genre des plus réussis : « Les vieux académiciens se pressent autour de ceux qui arrivent et sont dans l’âge de la force, comme les ombres du purgatoire autour d’Énée ou de Dante vivans, effrayés et surpris de la vue d’un corps réel. » Tous sont à leur poste, les glorieux, les bienveillans à l’avant-scène, — cinq ou six, — toujours prêts à vous reconnaître en vous tendant la main ; puis en arrière, le chœur des Parques et des infirmes, ceux qui feignent d’être sourds ou qui le sont pour ne pas entendre le bruit que vous menez et qui se déclarent aveugles pour ne point vous lire. Tous ces bonshommes-là sont parlans, un Hogarth, un Zamacoïs ne feraient pas mieux. C’est pris sur le vif ou plutôt sur le mort. Et quelle dignité dans le coup de pinceau ! quelle maestria ! Rien de cet art rapin qui se paie d’allusions et s’imagine qu’on répond à tout avec des mots d’esprit. Il pare, idéalise sa victime avant de l’immoler au nom de la vertu et vous vous dites que c’est là nécessairement une espèce d’académiciens à jamais disparue, et comme, grâce aux dieux, on n’en rencontre plus. A côté des antiques, voici les modernes, les contemporains, des poètes ceux-là, non plus fagotés en immortels, mais bien réels, bien dispos : Brizeux, Barbier : « Barbier vient de publier il Pianto. Les délices de Capoue ont amolli son caractère de poésie, et Brizeux a déteint sur lui ses douces couleurs virgiliennes et laquistes dérivant de Sainte-Beuve. — Ils ont mêlé leurs couleurs et leurs eaux ; à peine retrouve-t-on dans ce Pianto quelques vagues du fleuve jaune des ïambes. L’eau bleuâtre qui entoure ces vagues est pure et belle, mais ce n’est pas celle du fleuve débordé d’où jaillit la Curée.

« Brizeux est un esprit fin et analytique qui ne fait pas des vers par inspiration et par instinct, mais parce qu’il a résolu d’exprimer en vers les idées qu’il choisit partout avec soin.

« Il a des théories littéraires et les « coulées dans l’esprit de Barbier, qui, dès lors, se méfiant de lui-même, s’est parfumé des formes antiques et latines, qui étouffant son élan satirique et lyrique.

« Barbier et Brizeux ne devraient jamais se voir malgré leur amitié.

« Il arrive à Barbier ce que je lui ai prédit ; on s’écrie : « C’est beau, mais c’est autre chose que lui. »

Nous nous sommes expliqué ici même naguère sur Brizeux[1]. Quant à Barbier, nous ne saurions admettre à son égard le sentiment d’Alfred de Vigny ; ce n’est là qu’une nuance, nous en convenons ; mais avec ces subtilités de raisonnement, on nous mènerait droit à ne goûter dans un artiste rien en dehors de la qualité

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1880.