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maîtresse. Réfléchissons d’abord que personne en ce monde ne fait tout ce qu’il veut. Tel cas se présente où le succès, — un succès immédiat, énorme, inattendu, — va décider d’une destinée.

Barbier, en 1831, au lendemain des journées de juillet, fait la Curée et le voilà, par le mouvement des esprits que son inspiration a subjugués, par l’inéluctable impulsion des circonstances, le voilà devenu, bombardé fatalement archange des flagellations éternelles. Qui sait ? peut-être n’était-ce là qu’une boutade d’honnête homme échauffé par le scandaleux spectacle de cette cohue d’intrigans se ruant sur les places et se disputant les bons morceaux d’une victoire à laquelle ils n’avaient pas contribué. L’occasion et le vox populi firent de cette boutade et de cette réminiscence d’André Chénier le point de départ d’une vocation. Satire oblige ; à la Curée succédèrent coup sur coup l’Idole et la Popularité, La première de ces deux pièces prenait corps à corps le héros du siècle et lui lançait l’invective au visage : « Sois maudit, ô Napoléon ! » Un vent de renaissance soufflait alors partout ; l’amour de la liberté, le patriotisme enflammaient les cœurs. Constatons en passant qu’un autre romantique, Antony Deschamps, précédait Barbier dans cette émulation de la colère et de la haine contre le Corse à cheveux plats. Et tout cela sortait, jaillissait si bien des sources vives que les images mêmes se rencontrent :

Napoléon despote à la France sut plaire ;
Ce mitrailleur du peuple est toujours populaire.
C’est que le peuple admire et craint les hommes forts
Et ne bronche jamais quand il sent bien le mors ;
C’est un cheval rétif au cavalier timide,
Et docile à la main qui lui tient haut la bride…


Ainsi parlera Deschamps en son laconisme un peu gris, et Barbier, reprenant, entourant le motif de toutes les colorations du style moderne, poursuivant, modulant, épuisant le thème, s’écriera en pleine poésie, en plein sujet :

O Corse à cheveux plats, que la France était belle
Au grand soleil de messidor !
C’était une cavale indomptable et rebelle
Sans frein d’acier ni rênes d’or ;
Une jument sauvage à la croupe rustique,
Fumante encor du sang des rois,
Mais fière et d’un pied fort heurtant le sol antique,
Libre pour la première fois.
Tu parus et sitôt que tu vis son allure,
Ses reins si souples et dispos,
Centaure impétueux, tu pris sa chevelure
Et montas botté sur son dos.