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été infailliblement massacrés s’ils avaient été reconnus. L’un d’eux, Damoiseau, a raconté d’une manière assez plaisante les efforts qu’il fit pour séduire le multezim de Jérusalem et la façon adroite dont celui-ci trouva le moyen de reconduire. « Un objet, dit-il, excitait vivement ma curiosité à Jérusalem ; c’était la belle mosquée bâtie sur les ruines du temple de Jérusalem. Tant de voyageurs assuraient qu’il était impossible à tout chrétien d’y pénétrer, que je voulus tenter de prouver le contraire. Recommandé au multezim de la ville, j’allai lui présenter mes respects et le presser de m’accorder une faveur à laquelle j’attachais le plus grand prix, celle de visiter ce temple des vrais croyans, dont on raconte merveilles et miracles. La réception amicale du multezim encourageait mes instances ; il souriait à mes vœux, il paraissait dans les dispositions d’y céder, et je me croyais déjà sûr de la réussite, quand quelques mots m’éclairèrent : « Va, mon fils, me dit-il, la lumière divine t’éclaire ; tu désires, je le vois bien, renoncer au culte des infidèles pour entrer dans les rangs des disciples de Mahomet. Je bénis notre saint prophète d’avoir embrasé ton âme de cette ardeur salutaire, de t’avoir inspiré le besoin de te convertir à la foi qui seule peut mériter la béatitude éternelle. Va, mon cher fils, et reviens purifié de tes souillures pour suivre désormais la bonne voie. Je vais te donner une escorte qui se chargera d’instruire nos imans de tes louables intentions et t’aplanira toutes les difficultés. » Ce discours, que la malice du multezim lui dictait pour m’embarrasser, me désenchanta singulièrement. Je lui répondis que, tout en professant une grande vénération pour Mahomet et beaucoup de respect pour la religion qu’il enseigne, mon dessein n’était pas de renoncer à ma patrie pour devenir sujet du Grand Seigneur ; que la seule envie d’examiner un beau monument des arts de l’Orient avait déterminé ma démarche auprès de lui, et qu’étant né de père et mère chrétiens, à mes risques et périls, je voulais mourir chrétien : « Ah ! me dit le multezim, ceci change l’affaire ! Je m’étais étrangement trompé sur ton compte, seigneur Français. N’importe, je t’ai promis une escorte pour t’accompagner à la mosquée, je tiendrai parole ; on t’en fera voir les dehors et l’intérieur dans tous les détails ; seulement, je dois t’avertir que, si le peuple musulman te reconnaît pour chrétien, ce qui est plus qu’à supposer, le moindre désagrément qui puisse t’arriver, c’est d’être massacré sur place. Vois maintenant ce que tu dois faire. Une pareille bagatelle n’arrêtera sans doute pas un homme de courage comme toi ? — Pas le moins du monde, répondis-je au facétieux multezim ; mais comme il me reste encore quelques légers intérêts à régler, je remettrai la partie de plaisir à un autre jour, si vous voulez bien