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La Popularité, tout en reproduisant quelque peu la Curée, n’en reçut pas moins bel accueil : c’était justice ; la pièce devait réussir pour l’exemple. Nous nous plaignons en France du manque de foi politique ; d’où vient le mal, sinon de l’avènement successif de toutes les vanités ayant su mettre de leur côté l’opinion publique ? Au cours de cette même année, parurent les ïambes, recueil illustre à la fois et dommageable pour son auteur, pyramide dressée dans le passé au détriment de tout son avenir ! On ne s’institue pas impunément poète satirique ; c’est là une profession qui tôt ou tard vous condamnera à ne voir les choses que par leur côté morose et sombre. Horace seul échappe à ce danger, sa bonne grâce et son bel esprit l’en préservent ; mais Horace peut-il bien être classé parmi les satiriques ? La vraie satire, — celles des colères et des haines vigoureuses, — s’accommode mal des petits sujets ; il lui faut les grandes occasions. Or les grandes occasions sont rares, et qui s’obstinerait à compter dessus courrait le risque d’arriver au terme avec un mince bagage. Barbier l’avait compris lorsqu’il essaya d’opérer sa diversion en 1841 par les Chants civils et religieux, en 1843 par les Rimes héroïques. Aux légitimes indignations de la première heure, aux colères vraiment ressenties, avaient succédé dans il Pianto (1833) et dans Lazare (1837), les colères et les indignations d’artiste : « Faites-nous des Lettres persanes, » disaient à Montesquieu les libraires de son temps. — Faites-nous des satires, criait à Barbier le public, et l’auteur de la Curée et de l’Idole obéissait, répétant et forçant la note.

Pour moi, cet univers est comme un hôpital,
Où, livide infirmier, levant le drap fatal,
Pour nettoyer les corps infestés de souillures,
Je vais mettre mon doigt sur toutes les blessures.


L’obsession déjà s’en mêlait et la déclamation aussi. Comment s’y dérober ? Fuir vers les saules, se renouveler dans l’idylle, se retremper dans la fraîcheur des bois et, sans renoncer aux grandes occasions, aller, à la manière de Virgile et de Lamartine, les attendre sous l’orme. Auguste Barbier n’eût pas demandé mieux ; mais le public refusa de le suivre, et nous surprenons Alfred de Vigny même s’écrier : « C’est beau, mais c’est autre chose que lui ! » Qu’était-ce donc que lui ? C’était l’homme de la Curée, de l’Idole et de la Popularité, « le livide infirmier, » comme il s’intitule, le poète contraint et forcé « du pâle voyou, » de la fille « qui boit du vin bleu, » des squelettes « aux os verts » et de cette pourriture d’hôpital d’où devait sortir Baudelaire, qui s’imaginait, — plus naïf peut-être