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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/323

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solution où elle pût se mettre d’accord et avec elle-même et avec ce sentiment général du bien et du mal qu’on appelle la conscience du genre humain. Qui voudrait aujourd’hui, je ne dis pas de l’épicurisme antique ou du système de Hobbes, mais des doctrines, vieilles de cent ans à peine, du livre de l’Esprit et du Catéchisme de Saint-Lambert ? Que reste-t-il de Bentham après Stuart Mill et de Stuart Mill lui-même après Herbert Spencer ?

M. Herbert Spencer avait indiqué plus d’une fois, dans ses divers écrits, les traits généraux de son système de morale. Il avait résumé ce système dans un document célèbre : sa lettre à Stuart Mill, publiée pour la première fois par M. Alexandre Bain, dans laquelle il s’était nettement séparé, non-seulement de l’utilitarisme traditionnel, mais de l’utilitarisme transformé de son illustre correspondant. Il a voulu en donner le développement dans un ouvrage spécial qui devait, dans le programme de ses travaux, former la conclusion de son « système de philosophie » et dont il a avancé la publication, « des avertissemens répétés, dit-il en termes touchans, lui ayant appris qu’il pouvait être définitivement privé de ses forces avant d’avoir achevé la tâche qu’il s’était marquée à lui-même. » Cet ouvrage, aussitôt traduit en français, a ranimé des deux côtés du détroit les espérances de tous les partisans d’une morale scientifique et positive[1]. Il a été cité à la tribune française par le ministre de l’instruction publique, dans une discussion qui avait précisément pour objet l’enseignement laïque de la morale, et il a été signalé comme une des œuvres les plus propres à fonder enfin cet enseignement, en appelant toutes les doctrines morales sur un terrain de conciliation[2]. Une œuvre aussi considérable et par elle-même, et par le nom de son auteur, et par les adhésions qu’elle a reçues, se recommande à l’attention et à l’examen approfondi de tous ceux qui, sans parti-pris, avec le seul souci de la vérité et de l’intérêt social, se demandent ce qu’il y a de légitime

  1. La traduction française a pour titre : les Bases de la morale évolutionniste (un volume de la Bibliothèque scientifique internationale.) Le titre anglais est plus simple et plus modeste : The data of Ethics, Les Données de la morale. Le traducteur anonyme a voulu sans doute que la couverture même du livre en indiquât l’esprit : précaution assez inutile, quand il s’agit d’un philosophe illustre dont tous les écrits forment un ensemble systématique, et dont la méthode, les théories et les principes sont discutés depuis près de vingt ans par tous les penseurs des deux mondes.
  2. Séance du 24 décembre 1880 à la chambre des députés. — M. le ministre de l’instruction publique vient de faire, dans une autre enceinte, un éloge plus pompeux encore de ce même ouvrage, qu’il représente comme s’élevant, « par une évolution logique, qui est admirable, de la morale du plaisir à des conclusions absolument identiques à celles de la morale de Kant. » (Séance du sénat du 2 juillet 1881.) On verra, par la suite de la présente étude, si cet éloge est justifié.