et de réalisable dans cet idéal de « la morale laïque, » vainement poursuivi jusqu’ici en dehors des conceptions métaphysiques.
Le début des Données de la morale rappelle celui des Fondemens de la métaphysique des mœurs. M. Spencer analyse le concept de la « bonne conduite, » comme Kant celui de la « bonne volonté. » Il va sans dire que le rapprochement s’arrête aussitôt. Le philosophe allemand veut ramener à l’état le plus simple, à l’état pur, le fait de la bonne volonté tel qu’il apparaît dans la complexité de la vie humaine. Le philosophe anglais suit un ordre inverse. Il cherche à se représenter la conduite la plus simple, telle qu’on peut la supposer chez les êtres inférieurs au plus bas degré de l’échelle animale ; puis il en suit le développement à travers toute la série des espèces jusqu’à l’homme, et, chez l’homme lui-même, à travers toutes les civilisations, jusqu’à l’humanité idéale et parfaite dont l’humanité réelle peut se faire une image de plus en plus nette à mesure qu’elle prend une conscience plus claire d’elle-même. En un mot, il voit déjà une conduite dans tout mouvement animal approprié à une fin, et il fait consister l’évolution de la conduite dans une adaptation de plus en plus parfaite des moyens les plus complexes à un ensemble de fins de plus en plus diversifiées et, en même temps, de mieux en mieux combinées dans une harmonieuse unité. Cette unité n’est pas seulement celle de la vie individuelle la plus riche et la plus heureuse, mais celle de la vie sociale la plus prospère et la plus paisible. L’évolution embrasse les sociétés comme les individus et l’humanité tout entière, comme les sociétés diverses dont elle se compose. C’est la loi universelle : rien n’échappe à cette loi dans les élémens propres de chaque être et dans l’ensemble des êtres.
Qu’est-ce donc que la bonne conduite ? Tout acte approprié à sa fin peut être qualifié de bon ; mais la conduite elle-même n’est bonne que si les fins qu’elle poursuit concourent à cette évolution, qui est la fin générale et commune de tous les êtres. Il peut être bon de s’enivrer pour se procurer certaines jouissances ou l’oubli de certains maux ; mais l’ivresse est toujours mauvaise par les effets qu’elle peut avoir, soit sur l’ensemble de la vie individuelle, soit sur les rapports des hommes entre eux dans la vie sociale. La bonne conduite suppose donc toujours un choix, non-seulement entre divers moyens, mais entre diverses fins, en vue de l’évolution générale qui intéresse à la fois l’être tout entier et la totalité des êtres. M. Spencer la définit a la conduite relativement la plus développée, » et il appelle mauvaise « celle qui est relativement