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des cultes, voilà les deux principes de la société laïque : elle n’en implique pas d’autres. Ce n’est nullement, comme on paraît le croire, une société d’êtres abstraits qui, pour pouvoir compter parmi ses membres et agir comme tels, seraient condamnés à se dépouiller de leur éducation, de leurs croyances, de leurs habitudes particulières de penser et de sentir, de tout ce qui peut devenir entre eux un sujet de divergence. Chacun y apporte ses opinions personnelles, même celles qu’il a puisées à une source religieuse ; mais toute opinion doit se laisser discuter : nulle n’a le droit de s’imposer au nom d’une autorité surnaturelle. La société laïque n’est tenue à la neutralité qu’entre les communions religieuses : pour tout le reste, elle garde le droit et elle a souvent le devoir de prendre parti entre des opinions diverses. Elle ne sort pas de la neutralité confessionnelle quand elle fait prévaloir dans sa législation ou dans les actes de son gouvernement telle ou telle opinion politique ou juridique ; elle n’en sort pas davantage quand elle charge les instituteurs ou les professeurs à qui elle confie l’enseignement public de se prononcer en son nom sur des questions de science, de littérature, voire même de morale ou de métaphysique. Il n’est pas, en effet, un seul enseignement qui n’ait souvent à faire un choix entre des thèses controversées. S’il y a de telles thèses en philosophie, il y en a aussi dans la morale, nous l’avons prouvé, et tout le monde sait qu’il n’y en a pas moins dans le droit, dans l’économie politique, dans la médecine, dans les sciences mêmes que la sûreté de leur méthode met le plus à l’abri des sujets de discussions et des chances d’erreur. Or il serait étrange que, parmi toutes les thèses qui peuvent être l’objet de l’enseignement public, les seules qui lui fussent interdites sous prétexte de neutralité entre les diverses religions fussent précisément celles sur lesquelles toutes les religions sont d’accord : la morale du devoir, le libre arbitre, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme, tout ce qui, en un mot, fait le fonds commun du spiritualisme philosophique et du spiritualisme chrétien.


VIII

L’incompétence de la société laïque en ces matières est soutenue à la fois par les adversaires du spiritualisme et par les défenseurs exclusifs de l’enseignement théologique. Les premiers invoquent les droits des libres penseurs, athées, matérialistes ou positivistes, qui ne sauraient être astreints à donner ou à recevoir un enseignement contraire à leurs principes ; les seconds ne sont pas rassurés par le maintien, dans l’état actuel, d’un enseignement spiritualiste ; car les vicissitudes de la politique peuvent amener le triomphe de doctrines tout opposées. Les uns et les autres seraient dans leur