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droit s’ils se bornaient à réclamer la pleine liberté de l’enseignement, en dehors des écoles officielles ; ils assureraient ainsi un refuge à toutes les doctrines auxquelles ces écoles peuvent être fermées ; mais ils ne laissent rien subsister de la notion de l’état, quand ils prétendent le condamner, dans les institutions qui lui sont propres, et particulièrement dans l’instruction publique, à l’indifférence absolue pour toute espèce de doctrine.

Les scrupules des théologiens ont été exposés avec une grande modération par M. le pasteur Bersier, dans une brochure sur l’enseignement de la morale dans l’école primaire[1]. M. Bersier, pour ne blesser en rien la conscience des maîtres et celle des familles, voudrait réduire cet enseignement aux préceptes pratiques et laisser les leçons théoriques aux ministres des différens cultes. Nous sommes d’accord avec lui pour ouvrir largement les portes de l’école à l’enseignement religieux proprement dit, en ne tenant compte que des vœux des familles, et pour ne pas imposer à l’instituteur un cours suivi de morale où il rencontrera d’extrêmes difficultés dans l’imperfection de sa propre culture et dans l’intelligence mal préparée de ses élèves. Il fera certainement une œuvre plus utile en rattachant ses préceptes de morale à tout l’ensemble de ses autres leçons, qui lui fourniront sans cesse des occasions de bons conseils. Pourra-t-il toutefois se dispenser d’appuyer ses conseils sur quelques explications, que même ses plus jeunes élèves sauront bien lui demander et que sa conscience lui fera un devoir de donner, s’il prend au sérieux son rôle d’éducateur ? Et lui sera-t-il possible, dans ses explications, de s’interdire tout appel à ces idées métaphysiques ou religieuses, dont on prétend faire pour lui un terrain défendu ? Enfin, si l’enseignement primaire, quand il est donné au nom de la société laïque, doit s’abstenir de toucher à ces idées, ne faudra-t-il pas, au nom de la logique, bannir de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur, tout cours de morale et de philosophie ?

On se fait une très fausse idée de l’instruction publique, dans une société libre, quand on suppose que tout y est réglé par des programmes inflexibles, à la façon des dogmes théologiques, et d’un autre côté, que ces programmes sont exposés aux plus brusques et aux plus radicales variations, suivant les fluctuations de la politique. Autre chose est la politique proprement dite, vouée à de perpétuels changemens, autre chose, les institutions permanentes de la société. Nul ministre de l’instruction publique ne se reconnaîtra le droit de bouleverser entièrement, au gré de ses opinions

  1. De l’Enseignement de la morale dans l’école primaire, par M. Eugène Bersier, pasteur auxiliaire de l’église réformée de Paris.