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Cette clause du traité devait avoir une durée de vingt-cinq années.

La Bolivie ne prévoyait pas alors que, dans un délai peu éloigné et sous l’empire d’une législation minière très libérale, Antofagasta deviendrait une colonie chilienne, comptant près de 20,000 ouvriers, maîtresse en fait d’un territoire sur lequel le gouvernement bolivien n’exercerait plus qu’une souveraineté nominale. La Bolivie ne pouvait songer en effet à entretenir une armée, à élever des forteresses, à occuper militairement une région absolument stérile, où tout ce qui est nécessaire à l’existence de l’homme fait défaut, où l’on ne se procure un peu d’eau potable qu’à l’aide d’appareils de distillation établis sur la plage et où le combustible manque à ce point que l’habitant ne peut faire cuire ses alimens que lorsque ses bêtes de charge ont digéré et que le soleil brûlant du désert a desséché leurs déjections.

Protégée par le traité avec la Bolivie, l’émigration chilienne avançait lentement, mais sûrement. En plusieurs circonstances, des difficultés surgirent avec les autorités locales, impuissantes à faire respecter leurs décisions et à affirmer leur autorité. A La Paz, siège du gouvernement bolivien, l’opinion publique, inquiète, émue, reprochait au président sa trop grande condescendance pour le Chili et l’accusait de sacrifier les intérêts nationaux. L’heure n’était pas éloignée, disait-on, où la Bolivie cesserait d’être une puissance indépendante et n’aurait plus d’autre ressource que de passer sous la domination chilienne. Cette heure sonnerait quand, privée de tout accès à la mer, enfermée de toutes parts, la Bolivie en serait réduite à exporter ses produits et à importer ses échanges par les ports de sa rivale.

La Bolivie n’était pas seule à s’alarmer. Pour des causes différentes, le Pérou suivait d’un œil inquiet cette invasion pacifique. Le désert d’Atacama séparait ses provinces méridionales du nord du Chili, et le désert se peuplait rapidement. Puis, le Pérou était obéré ; ses finances, mal administrées, l’obligeaient à recourir au crédit, et ce dernier s’épuisait. Disposant d’immenses ressources naturelles, il touchait à la banqueroute ; les îles Chinchas, ces gisemens énormes de guano, étaient pour le Pérou ce que le Pérou lui-même, avec ses prodigieuses mines d’or, avait été pour l’Espagne ; une source de richesses faciles, en apparence inépuisables, en réalité une cause d’incurie, de misère et finalement de ruine. On dépensait sans compter, vendant, hypothéquant l’avenir. Les dépôts de guano devaient suffire à tout, permettaient tout, excusaient tout. Mais ces dépôts eux-mêmes s’épuisaient. On leur demandait trop : des avances énormes, des intérêts exorbitans. Le Pérou, acculé, s’avisa de parer à son déficit en frappant d’un droit élevé l’exportation de ses salpêtres. Son territoire en renfermait de nombreux