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opéraient à Arica la jonction des deux armées. Ce fut un jour de fête. On avait redouté une attaque et un débarquement des troupes chiliennes sur ce point important. Les forces considérables dont on disposait écartaient ce danger. On savait, en outre, l’heureuse sortie du Huascar et de l’Independencia du port du Callao ; on attendait d’heure en heure la nouvelle de la levée du blocus d’Iquique, de la reprise d’Antofagasta et de la destruction d’une partie de l’escadre chilienne.

Le lendemain on sut à quoi s’en tenir. Le succès n’avait pas répondu aux espérances. Sans se décourager toutefois on pressa les travaux de défense du port d’Arica, dont on fit une place de guerre formidable. Iquique reçut une garnison considérable, on y leva des fortifications garnies de canons de gros calibre ; Pisagna, fortement occupée par un corps péruvien et bolivien, fut mis a l’abri d’un coup de main. En même temps, on poussait activement avec la république Argentine les négociations en vue d’une alliance offensive contre le Chili ; on proposait de lui céder, pour prix de sa coopération dans la campagne entreprise, 60 lieues de côtes sur le Pacifique à distraire du territoire du Chili, depuis le 24e jusqu’au 27e degré. La Bolivie décrétait en outre la délivrance de lettres de marque à tous navires de toute nationalité qui s’attaqueraient au commerce du Chili. L’argent manquait. La Bolivie confisqua les propriétés des citoyens chiliens dans les mines de Coro-Coro et de Huanchacha et vota un emprunt forcé de 5 millions de francs dont on ne put faire rentrer qu’une partie insignifiante. Enfin une amnistie générale, mesure plus heureuse, dont l’honneur revient au président Daza, eut pour résultat de rallier à son gouvernement et de ramener sous les drapeaux un grand nombre de mécontens, dont les rancunes désarmèrent devant le péril commun.

De son côté, le gouvernement chilien, encouragé par ses premiers succès, pressait activement l’armement de ses troupes. Les mineurs chassés du territoire péruvien constituaient d’excellentes recrues. Durs à la fatigue, exaspérés par les mesures de rigueur prises contre eux, connaissant bien le pays, habitués aux marches et à la vie du désert, ils s’enrôlèrent en foule et fournirent en peu de semaines un contingent de cinq régimens dont l’instruction militaire, la discipline et le courage ne laissaient rien à désirer. L’organisation d’une garde nationale locale permit de disposer des troupes régulières dont les cadres étaient excellons. On fit venir d’Europe les munitions et les équipemens nécessaires ; tous les achats furent payés comptant et le service de la dette publique ne subit aucun retard. Le crédit du Chili se maintenait, mais il traversait, lui aussi, une crise économique, résultat de trois années consécutives de mauvaises récoltes et des dépenses