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considérables faites pour les grands travaux publics. Ces derniers furent suspendus, une stricte économie fut introduite dans l’administration, enfin on eut recours à une émission de papier-monnaie ayant cours forcé, mais grâce aux mesures prises et aux sages tempéramens apportés à cette émission, la dépréciation du papier fut de courte durée et ne dépassa pas 25 pour 100.

Depuis le combat d’Iquique, l’escadre péruvienne se préparait à la lutte. Si le blocus d’Iquique paralysait le commerce péruvien en empêchant l’exportation du nitrate, il paralysait également une partie de la marine chilienne ; il laissait libres les ports de Pisagua et d’Arica, situés plus au nord et par lesquels le gouvernement péruvien acheminait ce qui était nécessaire à son armée ; il facilitait en outre un coup de main hardi, l’expérience l’avait prouvé, et obligeait l’amiral chilien à une incessante surveillance, difficile à exercer sur une étendue considérable de côtes. C’est ainsi que la goélette péruvienne Pilcomayo réussit à tourner l’escadre de blocus, à débarquer à Arica un chargement important, à surprendre le port de Tocopilla occupé par les Chiliens, à couler bas un navire de transport, les pontons et les barques et à se dérober par une fuite habile aux poursuites de ses adversaires. Ce que le Pilcomayo venait de tenter avec succès, le commandant Grau se préparait à l’entreprendre avec le Huascar sur une tout autre échelle. Instruit par l’expérience, il faisait renouveler et changer une partie de son armement, réparer ses machines, compléter son équipage, enrôler des matelots éprouvés ; le 6 juillet, il prenait la mer et commençait cette campagne héroïque qui devait immortaliser son nom et illustrer son pays.

On avait déjà vu par l’exemple de l’Alabama, lors de la guerre de sécession aux États-Unis, les dommages considérables que pouvait infliger à un ennemi bien supérieur en forces et en nombre un navire isolé, de marche rapide, habilement manœuvré, dissimulant ses mouvemens, apparaissant à l’improviste sur les points où on l’attendait le moins, menaçant sur tous, n’acceptant le combat qu’avec certitude de succès et se dérobant en présence d’adversaires redoutables. Le capitaine Grau, promu amiral, s’inspira de cette tactique. Du Callao il se rendit à Arica, communiqua ses plans au président Prado, obtint de lui la liberté d’opérer à son gré, et se dirigea sur Iquique que bloquait l’escadre chilienne. Il savait qu’à la tombée de la nuit les bâtimens chiliens gagnaient le large pour éviter les torpilles que les assiégeans pouvaient diriger contre eux dans l’obscurité. Le 9 juillet, à minuit, le Huascar pénétrait dans le port d Iquique, l’amiral s’abouchait avec les autorités péruviennes, obtenait d’elles les renseignemens qui lui étaient nécessaires et, avant le jour, reprenait la mer. Prévenu de l’arrivée prochaine du