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Mais il y a plus encore, et ce mouvement déjà bien réduit vient mourir à Arles ; car, bien que le canal d’Arles à Bouc ait une profondeur à peu près suffisante, il n’avait pu être exécuté que pour donner passage à l’ancien matériel de la batellerie ; les écluses notamment sont trop petites et ne permettent l’accès d’aucun des grands navires à vapeur du Rhône. L’œuvre grandiose conçue par Vauban, décrétée par Napoléon Ier et réalisée après trente ans de travaux, s’est donc trouvée insuffisante le jour même où elle a été terminée ; et on peut même dire qu’elle n’aurait été que d’une utilité secondaire si elle n’avait contribué d’une manière très remarquable à l’assainissement du territoire d’Arles. Le canal traverse, en effet, la partie la plus basse de cette riche plaine du Plan-du-Bourg qui n’était anciennement qu’un cloaque ; et, de même que celui de Beaucaire à Aigues-Mortes sur la rive droite du Rhône, il est devenu le fossé d’écoulement à la mer de toutes les eaux stagnantes ; il a donc rendu de très grands services, sinon comme canal de navigation, du moins comme canal de vidange et de dessèchement.

Ainsi la question séculaire des embouchures du Rhône n’avait reçu qu’une solution imparfaite, et la zone maritime du fleuve continuait à être fermée à la navigation. Quelque insuffisant que fût le canal d’Arles à Bouc, il existait cependant ; et il eût été pratique et facile de l’améliorer et d’en tirer un excellent parti. L’idée la plus simple, celle dont la réalisation eût été la plus féconde, était de mettre le canal, à peine achevé, en état de suffire aux nouvelles exigences de la batellerie fluviale ; il ne fallait pour cela qu’allonger les écluses et exécuter quelques élargissemens et quelques recreusemens sur place. Les projets furent même dressés. La dépense était évaluée à 8 ou 10 millions ; les travaux auraient pu être exécutés dans cinq ou six ans et la navigation aurait été sauvée de la ruine.

Malheureusement l’opinion publique commençait depuis quelques années à être très impressionnée par la production d’un nouveau projet qui se présentait tout d’abord sous les couleurs les plus séduisantes. On a vu que la dernière tour du Rhône, la tour Saint-Louis, avait été construite en 1737, sur la rive gauche du fleuve, à son embouchure même, presque sur-le rivage de la mer. Depuis un siècle et demi, le fleuve avait marché en avant à raison d’une quarantaine de mètres par an en moyenne ; la tour Saint-Louis se trouvait par conséquent à près de 5 kilomètres dans l’intérieur des terres. Le Rhône, en empiétant ainsi sur la mer, avait projeté un long promontoire sablonneux qui fermait à l’ouest la plage de Galéjon et transformait cette partie du golfe de Lyon en une petite