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baie circulaire, d’autant plus abritée que la longue saillie de l’embouchure s’avançait plus au large et dessinait ainsi une sorte de môle naturel. Ce bassin exceptionnellement abrité est le golfe de Fos, bien connu de tous les marins, et qui présente deux mouillages excellens, dont les noms font en quelque sorte image : le mouillage d’Aigues-Douces au-devant de Port-de-Bouc, et celui du Repos, qui lui fait face, situé le long de la plage gracieusement arrondie, formée par les apports récens du Rhône.

Si donc l’on ouvrait un canal maritime à large section, coupant l’isthme étroit et sablonneux qui séparait le Rhône de la mer, et débouchant dans la rade sûre et tranquille de Fos, on pouvait considérer le problème comme résolu de la manière la plus heureuse, La question du nouveau canal fut menée, il faut le reconnaître, avec une rare intelligence et une incomparable vigueur. Elle passionna bientôt le pays. Les conseils-généraux et les chambres de commerce des départemens riverains du Rhône, de la Saône, ceux même de l’Algérie adressèrent d’instantes suppliques au gouvernement pour la prompte exécution de ce projet sauveur, qui devait permettre aux plus forts navires de venir mouiller dans le fleuve même et placer ainsi la batellerie fluviale en contact immédiat avec la navigation au long cours. L’affaire fut lancée un peu à l’américaine. On avait déjà dessiné la future ville de Saint-Louis à cheval entre le fleuve et la mer, avec ses docks, ses quais, ses hôtels et son chemin de fer la reliant au nord avec Arles, à l’est avec Marseille. Pouvait-on douter un seul instant qu’une grande cité industrielle ne vint à surgir tout d’un coup autour de ce port privilégié de Saint-Louis, le seul de la France où l’on pourrait voir bord à bord les bateaux du grand fleuve et ceux de la mer ? Alexandrie n’avait-elle pas été fondée d’un seul jet dans des conditions analogues ? Le Havre, Cette, Saint-Nazaire n’étaient-ils pas aussi des ports improvisés ? Shang-Haï, Port-Saïd, Suez, ne sont-elles pas des villes toutes récentes dont l’éclosion n’a été l’affaire que de quelques années et la conséquence toute naturelle de modifications apportées dans les voies de communication et dans les courans commerciaux ? Tous les ports de l’Amérique et de l’Australie, tous ceux des colonies établis à la suite des découvertes des navigateurs n’ont-ils pas été de même créés de toutes pièces et en très peu de temps ? Combien un établissement de même nature ne présenterait-il pas de meilleures conditions de vitalité dans l’une des plus belles situations de la Méditerranée, à l’entrée de cette vallée du Rhône qui a été depuis tant de siècles et est encore l’une des grandes artères commerciales de l’Europe !

L’empereur Napoléon III porta au canal Saint-Louis le même