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intérêt que Napoléon Ier avait porté au canal d’Arles à Bouc. Cette déviation du Rhône semblait d’ailleurs être une seconde variante des célèbres Fosses Mariennes ; elle fut décrétée le 9 mai 1893. Les travaux commencèrent immédiatement, et huit ans après le canal était mené à bonne fin.

C’est, au point de vue de l’art de l’ingénieur, une des œuvres les plus remarquables des temps modernes. Le canal prend naissance dans le Rhône à 600 mètres en aval de la tour Saint-Louis et se dirige en ligne droite de l’ouest à l’est. Le Rhône forme en cet endroit, sur 14 à 15 kilomètres de longueur et une largeur qui varie de 4 à 500 mètres, une magnifique nappe d’eau dont le courant est en général très faible et où on ne trouve pas moins de 7 à 10 mètres de profondeur. C’est plutôt un lac qu’un fleuve, un véritable port intérieur, capable de recevoir la plupart des navires de fort tonnage qui entrent aujourd’hui dans le port de Marseille. La longueur du canal est de 3,300 mètres ; sa largeur est au plafond de 30 mètres, de 63 mètres au niveau des basses mers. On lui a donné un tirant d’eau minimum de 6 mètres. La section droite, ce que les ingénieurs appellent le profil transversal, se superpose à celui du canal de Suez à Port-Saïd, de sorte que, si l’on voulait prolonger les talus inférieurs des berges avec la même pente de 2 sur 1, jusqu’à la profondeur de 8 mètres, — ce qui ne présenterait aucune difficulté et se traduirait par une simple opération de dragage — on aurait un plafond d’une largeur de 22 mètres ; c’est la largeur actuelle du canal de Suez.

Le canal débouche à la mer dans un avant-port formé par deux jetées ; l’une s’avance jusqu’aux profondeurs naturelles de 6m,50 et a une longueur de 1,790 mètres ; l’autre, enracinée à la plage à 1,300 mètres au nord du canal, s’arrête aux fonds de 4 mètres, et sa longueur ne dépasse pas 500 mètres. Le projet est conçu et a été exécuté d’ailleurs de manière à pouvoir prolonger un jour ces deux jetées, si on le juge convenable, jusqu’aux profondeurs de 8 mètres, et à ménager entre les deux musoirs extrêmes une passe de plus de 200 mètres. Des quais de transbordement sont construits le long du canal et sur la rive gauche du Rhône ; un immense bassin de virement de douze hectares est établi à l’entrée du canal pour faciliter l’entrée et la sortie des navires et leur permettre de prendre et de décharger leurs marchandises ; enfin, pour racheter la pente du fleuve entre la tour Saint-Louis et la mer, on a exécuté une écluse grandiose qui ne mesure pas moins de 184m,50 de longueur totale, ce qui correspond à plus de 170 mètres de longueur utile. L’entrée du canal est donc facile par tous les temps et pour les navires de toute sorte, car on sait que les plus grands bateaux à vapeur du Rhône