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du marabout n’ont pas été heureux dans leurs combinaisons et dans leur stratégie ; ils n’ont pas réussi ! Mais il y a eu évidemment avant tout une faute politique, une imprévoyance de gouvernement. Tout le monde en est convenu l’autre jour dans la discussion de la chambre. Depuis assez longtemps on avait l’œil sur ce marabout qui s’érige aujourd’hui en « sultan ; » on connaissait non existence, son ascendant parmi les tribus, ses menées agitatrices, ses relations avec les populations marocaines de la frontière. On n’ignorait pas que l’hostilité contre la domination française était ardemment propagée dans le monde arabe, que tout se préparait pour un mouvement plus ou moins prochain. On le savait si bien que, dès le commencement de l’année dernière, une démonstration militaire avait été décidée dans les conseils du gouvernement pour intimider les agitateurs, pour faire sentir parmi ces tribus toujours à demi rebelles la puissance de la France Puis, sans raison bien plausible, ce projet était abandonné ; le gouvernement de l’Algérie se décidait à ne rien faire ! Mieux encore ! depuis qu’on avait renoncé à la démonstration militaire projetée un moment, des officiers avaient été envoyés successivement dans le pays ; ils avaient tous signalé la remuante activité de Bou-Amema, son influence croissante sur les tribus de Geryville, de Saïda et du Sebdou ; ils annonçaient les uns et les autres une insurrection imminente. On a persisté cependant à rester jusqu’au bout dans l’immobilité, sans prendre aucune précaution sérieuse. On a attendu indéfiniment, — « et puis, selon le mot d’un député, on est tout surpris de l’explosion des événemens, » dont on a connu l’origine et les préliminaires, qu’une démonstration un peu vigoureuse faite à propos aurait pu sans doute prévenir ! Ainsi, il peut y avoir eu des fautes militaires, il y a eu certainement aussi des fautes de politique, et en réalité les unes et les autres s’enchaînent, se confondent ; elles tiennent justement à ce faux système qu’on applique à tout, aux affaires de l’Algérie comme aux affaires intérieures, au risque de mettre partout la confusion.

La vraie cause des nouvelles complications africaines, elle est dans cette situation équivoque et mal définie qu’on a créée, dans ce mélange d’un gouvernement civil plus ou moins artificiel et d’un pouvoir militaire dénué d’initiative autant que d’indépendance : elle est en définitive dans cette idée chimérique à laquelle on a cédé par une sorte de préjugé en prétendant assimiler politiquement et administrativement l’Afrique à la France. Il faut bien voir les choses dans leur vérité. L’Algérie reste encore, après tout, une colonie qui est dans la période d’enfantement et de formation, où la France n’a pas cessé d’être en terre conquise, où la population est tellement discordante avec ses élémens arabes ou étrangers qu’elle implique la nécessité d’une autorité toujours active, puissamment armée, présidant à une organisation forcément spéciale. Pourquoi un chef militaire a-t-il paru jusqu’ici plus particulièrement propre à exercer cette autorité ? C’est évidemment