Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son article lui permettrait de se faire confectionner un costume régence, y compris la perruque et l’épée, avec lequel il pourrait faire bonne figure aux bals de l’Opéra. L’éditeur fut d’un autre avis et, afin d’être utile à un jeune homme qui devait avoir besoin de compléter son instruction, il le paya en livres, vieux volumes que les quais réclamaient. Henri Rolland fut de méchante humeur, mais l’éditeur ne démordit pas, et le pauvre débutant littéraire s’en alla tout déconfit de sa mésaventure. Il avait un goût prononcé pour la comédie italienne, qu’il avait étudiée avec ardeur ; il eût voulu la remettre en vogue sur nos théâtres, et bien souvent, avec les cousins d’Isis, il jouait des pièces improvisées sur un sujet concerté à l’avance. Sa petite taille et sa gracilité lui faisaient attribuer les rôles de femmes et j’ai admiré la finesse, l’élégance et l’esprit qu’il développait dans ces sortes de créations instantanées. À ces réminiscences de la comédie italienne, où Cassandre et Colombine n’avaient pas toujours un langage ad usum Delphini, on ajouta des mystères. Je me rappelle un Jugement dernier auquel un braghettero eût été plus indispensable qu’à celui de Michel Ange. Effervescence de jeunesse qui s’échappe en plaisanteries un peu vives, et rien de plus. On peut avoir ses folies, ses âcretés de langage, ses incongruités et n’en être pas moins un homme de sérieuse intelligence.

Henri Rolland donnait de temps en temps quelques articles à un recueil périodique oublié aujourd’hui, que l’on appelait la Revue nouvelle. Il y étudia la comédie italienne et le théâtre antique avec délicatesse et le style légèrement précieux qui était dans sa manière. Il avait un rêve : être joué à la Comédie-Française et écrire dans la Revue des Deux Mondes. Son rêve fut réalisé, mais le sort y mit une poignante ironie, Thersite, une petite comédie en deux actes et en vers, obtint un vif succès au Théâtre-Français. J’assistais à la première représentation et je me souviens des applaudissemens qui accueillirent le nom de l’auteur. L’idée était ingénieuse, elle était surtout très jeune. Il n’est miracle que ne puisse accomplir l’amour, il n’est âme si basse que l’influence de la femme ne puisse relever. Thersite, la honte de la Grèce, en devient l’honneur, parce qu’il aime et qu’il est aimé. Belle théorie de la jeunesse, illusion des inexpérimentés, des enthousiastes, et que l’histoire de Samson, que l’histoire d’Hercule ont démentie jadis. Thersite, dans lequel an perçoit trop peut-être quelques réminiscences de la Ciguë, était destiné à faire connaître Henri Rolland, mais la malchance, qui semble ne l’avoir jamais oublié, lui prouva que, rien ne prévaut contre les hasards de la vie. La pièce fut représentée pour la première fois le 12 février 1848 ; quelques