Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours après, un drame plus réel ne permettait plus de penser aux fictions dans lesquelles les Niséis, les Deïpbron de l’antiquité nous racontaient leurs démêlés en alexandrins ciselés avec art ; le vieux roi s’en était allé, abandonnant une partie qui n’était pas perdue, la France oscillait sur elle-même, et les factions envieuses chargeaient leurs fusils pour être prêtes au jour de l’insurrection. L’heure n’était plus aux plaisirs de l’esprit ; les théâtres restaient déserts ; à peine allait-on entendre Rachel déclamer la Marseillaise. Le coup fut dur pour Henri Rolland, mais il fit comme nous, il revêtit un costume de garde national et attendit le moment de combattre.

Sa santé était mauvaise, il s’affaiblissait ; sa débilité naturelle supportait mal les fatigues que nous imposait le service militaire auquel nous étions astreints. Il avait obtenu d’être exempté des nuits à passer au poste ; il ne s’en portait pas mieux : ses joues amaigries, ses pommettes roses, ses yeux brillans et une toux profonde indiquaient un mal qui menaçait les sources mêmes de la vie. Il travaillait néanmoins avec une sorte d’emportement, comme s’il eût craint de ne pouvoir terminer la page commencée. C’était François Buloz qui, en qualité de commissaire royal près la Comédie Française, avait fait jouer Thersite ; c’était un homme de tact et dont le flair était extraordinaire ; il ne lui avait pas fallu de longues méditations pour reconnaître que Rolland de Villarceaux avait du talent, un talent souple et apte aux dialogues rapides. Il lui demanda un proverbe pour la Revue des Deux Mondes ; ce genre de littérature, que la médiocrité de Théodore Leclercq avait rendu insipide, venait d’être vivifié et remis en vogue par le génie d’Alfred de Musset ; Octave Feuillet y avait trouvé une célébrité méritée. Les jeunes écrivains s’y exerçaient par esprit d’imitation et pour obéir à l’engouement du public. Le proverbe d’Henri Rolland était intitulé : Partir pour être évêque et revenir sonneur. C’est étrange, de forme mesurée et plein de sous-entendus qui feraient croire que l’auteur s’amuse à jouer à cache-cache avec son lecteur. La Revue insérait ce travail dans sa livraison du 1er décembre 1848. Encore cette fois, l’heure était peu propice ; la politique faisait virer toutes les têtes, car la France allait prononcer sur sa destinée. Mais bien plus qu’un vote plébiscitaire, l’implacable mal dont Rolland de Villarceaux était dévoré ne devait pas le laisser jouir de son succès. La mort l’attendait ; à vrai dire, depuis les jours de son adolescence, elle marchait dans son ombre, prête à le saisir et à lui faire expier les espérances qu’il avait conçues. Le 24 décembre, pendant que Louis-Napoléon Bonaparte, récemment proclamé président de la république, la tête coiffée d’un chapeau orné d’un plumet blanc et rouge, voyait défiler sur la place de la