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— Tais-toi ! dit-elle en se laissant tomber épuisée sur l’épaule d’André ; laisse-moi t’aimer et me consumer en t’aimant jusqu’à ce que j’en meure.

Au bout d’un moment elle reprit toute gémissante :

— Et cependant il faut partir !

André paraissait très las de cette scène ; il se leva et entraîna la jeune femme.

L’endroit où ils se trouvaient formait une retraite obscure au fond d’une étroite allée du bois : ils l’avaient découverte et adoptée. Nul chemin frayé ne passait à portée de la voix. Les taillis touffus les environnaient de toute part. Comme ils s’éloignaient dans le sentier plein d’ombre, Marco se dressa soudain à deux pas du banc où ils s’étaient assis. Le visage meurtri par la pression des mains pour étouffer ses larmes, pâle entre les sillons rougeâtres dont ses doigts crispés avaient rayé sa chair, ses yeux s’ouvraient, tout trempés, avec l’expression d’immobilité et d’effroi que donnerait une vision surnaturelle. La passion plus qu’humaine dont Marine venait de jeter les éclats autour d’elle frappait son cerveau d’une sorte de lumière éblouissante, et dans cette clarté, sa mère, possédée par un tel amour, lui apparaissait grandie et sacrée. Elle lui causait une terreur respectueuse comme s’il la voyait livrée, sur le trépied antique, aux transports inconsciens de la fureur d’un dieu. Il comprenait maintenant que cette femme eut pu faillir ; et, comme elle, il eut l’intuition d’une force redoutable sous laquelle on succombe et dont il faut trembler sans maudire les vaincus. Son cœur se remplissait d’une pitié suprême pour le déchirant martyre de Marine. Il eût voulu se traîner à ses pieds et lui dire :

— Mère, je t’adore, je te plains…

Il la regardait disparaître au loin, toute tremblante et affaissée au bras d’André, semblable à ces malades que l’on promène jusqu’au dernier moment d’une vie qui s’en va.

— Malheureuse ! murmurait Marco.

Mais violemment il appuya ses mains sur sa poitrine, où l’ardeur du dévoûment venait de naître au souffle brûlant tombé des lèvres de Marine.

— Et c’est pour moi qu’elle souffre, pour moi ! Oh ! non, mère bien-aimée, je ne ferai pas couler tes larmes. Sois heureuse, je partirai seul ! Je te défends de me suivre. Reste avec lui !… Et toi, fit-il en allongeant son bras vibrant de menace, comme si André eût pu le voir et l’entendre, et toi, je te la laisse, puisqu’elle t’aime plus que sa vie. Mais prends garde, ah ! prends bien garde de ne pas la faire pleurer !

George de Peyrebrune.