Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bon marché de l’argent des preuves irrécusables de la prospérité d’un pays et des gages assurés de sécurité ? le monde de la spéculation n’hésiterait pas à répondre affirmativement, mais on aurait tort de l’en croire sur parole. Lorsque les affaires sont actives et florissantes, ni le commerçant ni l’industriel ne se plaignent de payer un intérêt de 5 ou 6 pour 100 ou même plus élevé pour les capitaux destinés au salaire des ouvriers, à l’achat et à la transformation des matières premières, aux avances à faire aux acquéreurs étrangers. Si donc l’abondance et le bon marché des capitaux résultent de l’importance des bénéfices réalisés par les commerçans et les industriels et qui dispensent ceux-ci de recourir au crédit, ce sont là des signes incontestables d’une situation prospère ; mais l’abondance de l’argent peut être aussi le résultat de causes tout opposées. Lorsque la stagnation des affaires contraint le commerce et l’industrie à restreindre leurs opérations et à travailler au jour le jour, les capitaux qui les alimentent habituellement, ne trouvant plus un emploi rémunérateur, refluent vers la Bourse, comme le sang reflue vers le cœur dans un corps que la vie commence à abandonner ; ils s’y accumulent temporairement et s’y font concurrence ; alors leur abondance et leur bon marché n’accusent plus que la paralysie de l’activité nationale. Les statistiques officielles et les enquêtes approfondies auxquelles les commissions du sénat et du corps législatif se sont livrées permettent-elles à un esprit de bonne foi de contester que cette dernière situation soit la nôtre, depuis trois années, c’est-à-dire depuis l’essor qu’on a vu prendre aux spéculations financières ?

A mesure que l’emploi leur a manqué, les capitaux disponibles et les petites épargnes se sont accumulés, sous forme de dépôts, dans les caisses des établissemens de crédit, et sont devenus pour ces établissemens une source de profits. Les fonds publics n’étaient pas encore à des prix élevés ; et pour réaliser, sans risque appréciable, des bénéfices importans, il suffisait d’employer le montant des dépôts partie en achats de rentes et partie en reports. Aussi vit-on, dans cette première phase, la plupart des établissemens de crédit augmenter leur capital social dans l’unique dessein de pouvoir, sans déroger à leurs statuts, doubler ou tripler l’importance de leurs dépôts. La simultanéité de ces opérations eut un résultat facile à prévoir : le prix des rentes s’éleva en même temps que le taux des reports s’abaissa : les profits que l’on retirait de l’écart entre l’intérêt que l’on payait au public pour ses dépôts et l’intérêt que produisaient les placemens temporaires que l’on faisait avec cet argent, ne tardèrent pas à se trouver insuffisans pour rémunérer un capital doublé ou triplé. Il fallut chercher une source