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humains ; dans Robert le Diable, c’est le merveilleux qui seul mène la fête. Nous assistons à la mise en scène d’une légende et, qui, pis est, d’une légende où l’élément naïf n’entre pour rien et traitée plutôt à la manière des féeries avec toute sorte d’illustrations prétentieuses et de raffinemens mal assortis à la nature du sujet. De là mille contrastes ridicules qui passeraient inaperçus dans un ouvrage resté au répertoire et sur lesquels ces reprises, découvrant les faiblesses du texte par la médiocrité de l’interprétation, ne réussissent qu’à provoquer les ricanemens de la critique. C’est ainsi, par exemple, que ce personnage de Bertram, qu’un artiste tel que Levasseur nous forçait à prendre au sérieux, deviendra, sous les traits d’un comédien ordinaire, une figure d’opéra bouffe ; non pas que M. Boudouresque y soit plus mauvais qu’un autre, mais il y manque d’autorité, et puis cet empâtement, cette boursouflure dans la voix et le geste, ce masque grimé à l’excès de père noble satanique, comment échapper à l’obsession qui vous galope ? car il n’y a pas à dire, sauf les cas d’exception du genre de celui que je viens de citer, ce Bertram est un rôle injouable. Un individu à la fois bon père de famille et parfait démon, un camarade tout amour et tendresse pour son fils et qui le prouve en lui tendant des pièges pour le faire rôtir pendant l’éternité, tâchez de vous tirer de là, vous, tragédien. Si vous prenez parti pour le démon, que devient le père ? et si vous préférez jouer le père, que devient le diable ? La situation du cinquième acte elle-même, dépouillée aujourd’hui de toute espèce d’idéal, tourne au grotesque ; ce n’est plus, comme au temps des Nourrit, des Levasseur et des Falcon, la reproduction vivante du grand drame sculpté au portail des cathédrales : il ne vous reste devant les yeux qu’une pantomime à tour de bras accompagnée de hurlemens, Bertram qui s’arrache les cheveux, Alice qui se démène et se surmène, et brochant sur le tout, tiraillé, ballotté entre les deux, ce gros homme qui ne sait ni se damner ni se sauver. Quoi de plus trivial, de plus piteux, un diable d’enfer qui désespère, Méphistophélès en rirait bien ! Et pourtant cette musique est admirable, point naïve assurément, et c’est ce que je lui reproche. Un motif légendaire ne comporte point tant de pompe et de fracas décoratif ; cela voulait être traité plus simplement, dans le sens populaire. Ce morceau, tel que nous le revoyons avec les préoccupations de l’heure présente, nous paraît trop en dehors, donnant trop à la phrase, à l’air de bravoure. On y souhaiterait un peu d’archaïsme, un coloris moins haut monté et plus de caractère. Il est possible aussi que ce desideratum ne soit que le pur effet d’une interprétation médiocre dont notre esprit ne demande qu’à se désintéresser. Rien de plus facile d’ailleurs que d’épiloguer après coup sur Robert le Diable. Mais quelles que soient les injures dont le temps l’a criblée, l’œuvre de Meyerbeer, caduque et lézardée sur divers points, conserve encore à travers l’âge