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de l’Inde britannique. Est-ce la faute des Anglais si l’Indou a peu de besoins, si une poignée de riz suffit à sa subsistance ? si, énervé par le climat, il fait beaucoup moins de besogne dans un temps donné qu’un ouvrier européen ? « Mieux vaut être assis que debout, dit le proverbe oriental ; mieux vaut être couché qu’assis, et mort que couché. » On ne peut pas non plus s’en prendre aux Anglais des horribles famines, causées par la sécheresse, qui se reproduisent avec une fatale persistance. De 1873 à 1878, elles ont coûté 400 millions de francs, et dans une seule année elles ont fait six millions de victimes.

Si l’on ne fait pas entrer en compte les avances de capitaux nécessitées par les travaux publics, on peut dire à la rigueur que le budget de l’Inde se solde en équilibre, les dépenses étant à peu près balancées par le revenu ordinaire ; mais l’imprévu, de coûteuses entreprises, les famines, les pestes, d’autres accidens dérangent sans cesse cet équilibre péniblement cherché et produisent un déficit qu’on s’efforce en vain de combler. D’autre part, la dette s’est accrue dans des proportions effrayantes ; elle s’élève aujourd’hui à 150 millions de livres sterling. « Augmentons notre revenu, disent les uns. — Réduisons notre dépense, » disent les autres. Quelque parti qu’on propose, on se heurte à d’insurmontables difficultés. Dans l’Inde britannique, le revenu est stationnaire ou s’accroît lentement, les Anglais ont souvent signalé son manque d’élasticité, great inelasticity, a dit M. Fawcett. On croit que, les principales taxes qui l’alimentent, l’impôt foncier, l’impôt sur le sel, l’accise ou taxe sur les denrées, ont atteint leurs dernières limites. Le produit des douanes a diminué. Le commerce de l’opium prospère, mais on craint que la Chine, qui a prohibé dans ses états la culture de ce poison, n’en vienne à lui fermer ses ports.

Sir Richard Temple voit l’avenir sous un jour moins sombre. Il estime qu’avec les progrès de l’agriculture, la rente de la terre s’élèvera, et que le revenu des forêts de l’état est susceptible d’un accroissement indéfini. Il accorde néanmoins que les excédens se feront attendre pendant bien des années encore. En revanche, il n’admet pas qu’il soit possible de réduire la dépense. Il nie que les gouvernans de l’Inde gaspillent l’argent sans compter ou poussent avec trop d’ardeur les travaux publics ; il traite d’intempestives ou d’impraticables les économies qu’on réclame. Il n’admet pas non plus qu’on retranche rien sur les frais administratifs, bien qu’ils aient presque doublé dans les quinze années qui ont suivi la révocation de la compagnie, et il ne faut pas lui parler de diminuer l’armée, qui est le ver rongeur du budget, puisqu’on temps de paix elle coûte 425 millions de francs et absorbe le 45 pour 100 du revenu net. Le moyen de réduire l’armée ? À peine est-elle suffisante. Il n’est pas permis d’oublier que, si les quatre cinquièmes de la population de l’Inde sont soumis à la loi anglaise, 460 souverains nationaux, grands ou petits, tous feudataires et vassaux de la Grande--