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l’autre par une pure grâce du hasard : le hasard ne compose pas de la sorte, et si jamais il fit, ce dont je doute un peu, de bonnes épopées, je nie hardiment qu’il ait fait une bonne pièce. Pathelin, quoi qu’on ait dit, n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, et, tout bien pesé, je lui préfère Tartufe ; mais c’est une œuvre au moins, j’entends un ouvrage achevé, un ouvrage parfait, au sens propre du mot, et le premier en date de notre théâtre comique. La conception, l’ordonnance, l’exécution, sont d’un artiste, et d’un artiste original, qui inventa le premier en France, les règles éternelles de la comédie. M. Renan, qui n’a pas pour le théâtre une tendresse aveugle, et qui fait bon marché, j’imagine, des mérites purement dramatiques d’une pièce, M. Renan ne s’y est pas trompé : « Les naïves représentations du XIVe siècle, dit-il, ont certainement plus de charme ; le Jeu de la Feuillie, d’Adam de la Halle, en particulier, offre bien plus de véritable finesse ; mais l’entente de la scène et de la distribution des parties font entièrement défaut dans ces premiers essais, tandis que Pathelin nous représente la comédie complète, la comédie telle que l’entend Molière, telle que la comprit l’antiquité. »

Voilà, n’en doutez pas, la propre cause du succès de Pathelin. Bien d’autres farces avant celle-là prouvaient de l’esprit, de la malice et de la verve ; aucune n’avait cette vertu dramatique par laquelle Pathelin a survécu à toutes. Sans rien de voir à l’étranger plus qu’aux modèles antiques, Pathelin est pour la comédie en France comme le Cid pour la tragédie : c’est le premier exemplaire d’un genre. Les contemporains en connurent-ils le prix ? Il est permis de le croire, à considérer quelle vogue obtint d’abord la pièce, quels souvenirs en gardent les écrivains du XVIe siècle, et le nombre des éditions de Pathelin « mis en meilleur langage, » qui se succèdent à de brefs intervalles dans ce temps où le perpétuel changement de la langue condamne à des transcriptions fréquentes tout écrivain populaire. Etienne Pasquier, dans ses Recherches de la France, déclare qu’il a lu et relu Pathelin « avec tel contentement, qu’il oppose maintenant cet échantillon à toutes les comédies grecques, latines et italiennes. » Un siècle après, La Fontaine et Molière n’en faisaient guère moins de cas ; et si, pour un temps, la pâle imitation de Brueys et Palaprat a fait délaisser l’original, vous savez quel succès a obtenu, en 1872, à la Comédie-Française, la Vraie Farce de maître Pathelin, « mise en trois actes et en vers modernes, » par Edouard Fournier. Après quatre ou cinq cents, ans, Pathelin fait éclater le rire : mettez à part seulement les comédies de Molière ; quel autre ouvrage en France est assuré d’une pareille fortune ? Il est bien vrai qu’Edouard Fournier a décanté, pour ainsi dire, cette vieille et généreuse farce avec une prudence, une habileté, une discrétion charmantes ; il en a conservé la saveur et le bouquet. Il est bien vrai que la pièce est jouée à la perfection, et que M. Got est un Pathelin admirable : il est profond