Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ici-bas… Le défaut irréparable de la Farce de Pathelin, au point de vue de l’art, est cette bassesse de cœur au-dessus de laquelle l’auteur ne s’élève jamais. »

Certes ce jugement est d’une délicatesse mélancolique et noble qui ne messied pas au fin chroniqueur des gestes de Jésus. Nous serai-t-il pourtant permis d’en appeler ? Non que je prétende nier que les lettres au XVe siècle ne passent, comme le pouvoir, de chevalerie en roture. Louis XI vainqueur trouve les derniers romans de chevalerie dans les bagages de Charles le Téméraire, et volontiers il les donnerait tous pour une cent-unième Nouvelle nouvelle. Le crédit des légistes augmente à mesure que diminua celui des seigneurs ; le temps est proche où un confrère de Pathelin osera écrire : « Or sachez que le fait de advocacerie si est tenu et compté pour chevalerie… » Mais ne faut-il pas s’entendre sur cet âge d’or qu’on regrette ? Les vertus du moyen âge sont un peu bien fabuleuses. Nous voyons volontiers cinq siècles de notre histoire au travers d’une littérature qui fut à la mode pendant les deux derniers. Et, même à ne consulter que ces témoignages chimériques, devons-nous tant pleurer sur la France féodale ? Je ne sache pas que Garin le Loherain ni toutes les autres chansons du cycle de Charlemagne, à commencer même par la Chanson de Roland, nous dépeignent une société d’une politesse fort aimable : notre Roland est moins civil que celui de l’Arioste. Pour les chansons des cycles d’Arthur et d’Alexandre, elles trahissent le souci d’un idéal plus galant, qui fut, en effet, celui du XIIIe siècle ; mais jamais en France, pas même à cette noble époque, l’esprit goguenard que M. Renan exorcise aujourd’hui n’abdiqua ses droits ni ne perdit sa faveur. En même temps que les troubadours chantaient les trouvères, comme les merles parfois en même temps que les rossignols ; les chevaliers eux-mêmes n’étaient pas toujours à cheval et surtout ils toléraient des piétons à côté d’eux. Prier, aimer et se battre, c’était toute leur vie ; Dieu, ma dame et mon roi, leur souveraine devise. Pourtant le pieux Joinville, quand Louis IX lui demandait « ce qu’il aimeroit le mieux d’être lépreux ou d’avoir fait un péché mortel, » lui répondait, — car « oncques ne lui voulut mentir, » — qu’il « aimeroit mieux avoir fait trente péchés mortels que d’être lépreux. » Les fabliaux, que je sache, ne manquent pas de traits malicieux contre les dames ; et, pour ce qui touche aux vertus guerrières, le Descroisé de Rutebœuf, dans sa Dispute contre le Croisé, n’est guère moins pacifique que la Povreté de Villon, dans le Prince des sots. Rutebœuf déjà s’écrie, à peu près comme fait M. Renan lorsqu’il se reporte au temps de Pathelin :

:Morts sont Ogier et Charlemaine !