Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle ne le croit, dans ses affaires d’Afrique et de Tunis. L’Italie aurait peut-être mal choisi son moment si, comme on le dit, elle avait récemment envoyé à Kissingen un ancien président du conseil, M. Cairoli, pour proposer à M. de Bismarck une alliance dont le grand Teuton n’a pas besoin. Rien dans l’état de l’Europe ne peut lui donner un souci. Le chancelier de Berlin reste libre de tourner ses pensées et ses efforts vers les affaires intérieures de l’Allemagne ; il semble surtout préoccupé des projets de politique financière et économique dont il poursuit la réalisation, auxquels il s’est attaché avec son impérieuse ténacité, et sous ce rapport les élections partielles qui viennent de se faire en Saxe, en Bavière, les élections générales qui se préparent pour le parlement allemand ont peut-être pour lui plus d’importance que toutes les fantaisies diplomatiques.

Le fait est que les récentes élections saxonnes et bavaroises pour le renouvellement de la seconde chambre dans les deux royaumes ont un caractère singulier et un peu imprévu. Elles ne sont rien moins que libérales ; elles sont plutôt conservatrices, à demi particularistes et passablement ultramontaines ou cléricales. En Saxe, les libéraux ont subi un échec assez sérieux ; ils restent en minorité dans la seconde chambre et la victoire des conservateurs n’a été balancée que par le succès d’un socialiste, M. Bebel, à Leipzig ; mais c’est surtout dans le royaume catholique du Midi, en Bavière que le mouvement s’est accentué et devient plus vif. Les ultramontains ont eu un avantage signalé. Ils ne l’ont pas emporté seulement dans les campagnes, ils ont aussi enlevé le succès dans des villes comme Munich, Augsbourg, Ratisbonne, Passau. Ils ont aujourd’hui une majorité décidée dans la chambre bavaroise. Ces élections sont un fait d’autant plus caractéristique, d’autant plus curieux, qu’elles précèdent de peu le renouvellement du Reichstag, du parlement allemand. Déjà, dans l’Allemagne tout entière, la campagne électorale est engagée. Les partis sont en pleine agitation et multiplient les réunions, les manifestes. Tout se prépare pour une lutte des plus animées, et dans ces circonstances il resterait à se demander jusqu’à quel point les élections de Saxe et de Bavière peuvent être considérées comme le signe d’un mouvement général d’opinion, — comment le chancelier lui-même à son tour envisage ces mêlées de parti, d’où va sortir un nouveau parlement. Ce qu’il y a de certain, c’est que M. de Bismarck est depuis quelque temps vivement engagé contre les libéraux avancés, les progressistes, dans lesquels il voit les principaux adversaires de ses projets économiques et financiers sur les impôts, sur les assurances des travailleurs ; il les poursuit et les fait poursuivre sous toutes les formes, par tous les moyens. Il n’y a que quelques jours, son fils, le comte Guillaume de Bismarck, prononçait dans une réunion de conservateurs un discours des plus violens contre les libéraux. Pour le