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Par cette voie nous arrivons à des conclusions tout autres que l’école anglaise : au lieu de séparer avec elle, dans le domaine des sentimens comme ailleurs, le beau et le bien, le beau et le sérieux, nous croyons qu’ils s’y confondent. La beauté morale est le contraire même d’un exercice superficiel et sans but de l’activité. Au point de vue scientifique, un beau sentiment, un beau penchant, une belle résolution, sont tels en tant qu’utiles au développement de la vie dans l’individu et dans l’espèce.


IV

Nous n’avons analysé jusqu’ici que la beauté des mouvemens et celle des sentimens ; mais c’est surtout sur la théorie des sensations que s’appuient MM. Spencer et Grant Allen pour ramener le plaisir esthétique à un simple jeu de nos organes excluant tout but utile. Les sensations esthétiques, en effet, par exemple la vue d’une belle couleur, d’un dessin, d’un feu d’artifice, semblent rester pour la plupart superficielles, sans influence visible sur le développement général de la vie. Au contraire, les mouvemens expressifs, comme ceux de la joie ou de la bienveillance, et les sentimens de toute sorte, comme les diverses formes de l’amour, viennent du plus profond de notre être, qu’ils intéressent tout entier ; ils ressemblent à une onde venue du fond de la mer, qui marque une émotion sourde de toute la masse, tandis que les sensations esthétiques, comme celles de la vue et de l’ouïe, sont la ride passagère produite par un caillou jeté du bord. Ne semble-t-il pas alors qu’on ait raison de réduire les plaisirs de ce genre à un simple jeu ? Pour le savoir, analysons plus intimement la nature de la sensation.