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rendais pas justice ; l’usage m’a fait apprécier ses bonnes et solides qualités. Il serait trop long d’énumérer tous les lieux saints que l’on rencontre sur le chemin de Saint-Jean dans la montagne. Je me contenterai de dire que l’on passe devant la place où a été coupé l’arbre de la vraie croix. Saint Antonin prétend que cet arbre devait être un noyer ; mais le Guide du frère Liévin raconte une « pieuse légende » qui prouve que c’était un cyprès. Voici cette légende ; je la cite textuellement, vu l’importance du sujet : « Loth s’étant sauvé de Sodome avec sa famille, se réfugia près d’Hébron, dans une grotte où il se rendit coupable d’une grande faute, et pour se soustraire aux remords de sa conscience, il vint habiter le lieu où se trouve aujourd’hui l’église de la vraie croix. Comme il avait constamment son crime devant les yeux et qu’il priait Dieu sans cesse de le lui pardonner, l’ange du Seigneur lui apparut et lui présentant trois boutures de cyprès, lui dit : Plante et arrose ces boutures avec de l’eau que tu iras puiser chaque jour dans le Jourdain. Si elles prennent racine, ce sera le signe du pardon que le Seigneur t’aura accordé ; si, au contraire, elles ne poussent pas, ce sera un signe de réprobation. Loth, plein d’espoir, fit ainsi que l’ange le lui avait dit et vit bientôt que ses boutures commençaient à croître. Or un jour qu’il retournait les arroser vers le soir, étant chargé de son outre remplie d’eau, un démon, sous la forme d’un pauvre, lui demanda à boire, et Loth s’empressa de le satisfaire. Mais voici que plus loin d’autres démons, sous la même forme, lui demandèrent aussi à boire, de sorte que, quand Loth voulut arroser ses boutures, il trouva son outre vide. Comme il était trop tard pour retourner au Jourdain, il voyait ses espérances anéanties et craignait la mort de ses plantes ; mais tout à coup l’ange lui apparut une seconde fois et lui dit : Ta charité a trouvé grâce devant Dieu. Les boutures croîtront dorénavant sans être arrosées, et sois bien assuré de pardon. En effet, ces boutures devinrent des arbres, et c’est l’un d’eux qui a fourni le bois de la croix du Sauveur. » Loth était bon marcheur, car il faudrait plus d’un jour à un homme ordinaire pour aller de l’emplacement de la vraie croix au Jourdain, et il faisait le trajet, aller et retour, dans une journée. Mais ayant commis, comme s’exprime le frère Liévin, une « grande faute » pour avoir bu trop de vin, il était juste qu’il fît beaucoup de chemin à la recherche d’un peu d’eau.

Saint-Jean dans la montagne est le lieu où l’on prétend que le précurseur de Jésus est né. Le site est assez âpre et assez triste pour avoir servi de berceau à un mystique sombre dont l’œuvre ressemblait si peu à celle du fondateur du christianisme. On se figure sans peine le jeune saint Jean errant parmi les rochers des tristes vallées où la légende raconte que son enfance s’est déroulée.