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les yeux sourians lui dirent qu’elle était satisfaite. La place réservée à l’école se trouvait juste en face du banc seigneurial, auquel donnait accès une petite porte communiquant avec le parc ; Nellie ne put donc s’empêcher de voir, au moment où ils entraient, lord et lady Athelstone, suivis de leur fils. Elle s’agenouilla, le visage enseveli entre ses deux mains pour cacher une joyeuse rougeur.


V.

Des bruits étranges s’étaient dans les derniers temps répandus au sujet de Wilfred. Le sommelier en servant à table, la femme de chambre en écoutant aux portes, avaient recueilli et propagé certains fragmens de conversations entre mylord et mylady, d’où il résultait que « master Wilfred, » comme on l’appelait encore, avait fait à Oxford quelque escapade qui lui vaudrait peut-être d’être expulsé. S’agissait-il d’un attentat contre l’église, contre l’état, ou de fredaines d’une autre sorte ?.. On n’en savait rien à l’office. Les tenanciers, instruits de ces rumeurs, témoignèrent leur regret que le fils ne fût pas plus semblable au père : un jeune gentleman qui n’aimait ni le cheval, ni la chasse, ne pouvait inspirer qu’une médiocre estime. Cependant Wilfred avait ses partisans, parmi les femmes surtout, et tandis que les uns n’hésitaient pas à croire qu’il se fût rendu coupable d’idolâtrie ou de quelque péché non moins mortel, les autres le proclamaient le plus doux, le plus poli, le plus aimable des hommes de son âge. Wilfred n’encourut pas, du reste, la disgrâce dont il était menacé ; il couronna, au contraire, ses années d’étude à Oxford par un brillant succès : le prix lui fut décerné dans le concours annuel de poésie. Ce fut une grande satisfaction pour sa mère de pouvoir colporter cette nouvelle ; quant à son père, il ne se laissa point éblouir : Wilfred aurait dû maintenant se tourner vers un but sérieux et pratique, mordre aux devoirs de sa situation future ; or il n’y semblait nullement disposé. Le jour où Nellie le vit à l’église, il n’avait quitté que pour quarante-huit heures Londres, où il était censé mener une vie fort irrégulière.

L’héritier présomptif des Athelstone venait alors d’atteindre sa majorité. Il avait changé en bien et en mal depuis l’âge de seize ans. Son antagonisme contre certaines choses avait pris racine trop profondément pour qu’il se laissât aller désormais dans le monde à de véhémentes contradictions ; aussi sa déférence silencieuse envers son père enchantait-elle lady Athelstone, qui ne creusait jamais les choses plus profondément qu’il n’était convenable. Cette fois, par exemple, il était venu à l’église, contrairement à ses convictions, afin de ménager celles de sa famille, et il s’en trouvait récompensé par le voisinage