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— Vous avez raison ; l’école ne lui vaut rien ; il lui faudrait une meilleure nourriture, moins de travail. Voilà pourquoi je compte la placer à ma guise.

— Tout ce que vous voudrez, mylady, excepté l’émigration.

Lady Athelstone regardait fixement devant elle, en se demandant si elle avait insisté autant que l’eût exigé le défunt :

— Je vais partir pour l’étranger avec mon fils, dit-elle ; nous serons absens tout l’hiver. J’ai recommandé Nellie de plusieurs côtés. On se renseignera sur elle auprès de moi et de la maîtresse d’école. Je ne vous retiens plus, madame Dawson ; si un jour vous changiez d’avis quant à cette proposition d’émigrer, je serais heureuse de faire pour vous ce que souhaitait mylord.

— Je ne trouve pas de paroles, mylady. pour vous remercier, dit Mme Dawson d’une voix tremblante, et j’espère que vous m’excuserez si je prends la liberté de vous dire que je partage bien votre peine ; j’ai connu la même, moi aussi. Que Dieu vous aide, mylady, dans cette perte ! C’en est une pour nous tous, car jamais on n’a eu de seigneur pareil dans le pays,.. quoique je ne doute pas que M. Wilfred, je veux dire, mylord, ne marche sur les traces de son père et ne soit une consolation pour vous, mylady, en faisant honneur à son nom.

Ce qui part du cœur va au cœur. Lady Athelstone n’avait pas versé beaucoup de larmes, depuis cette mort à laquelle l’avait préparée une longue maladie et qui avait été suivie pour elle de tant de préoccupations graves, mais les paroles de la pauvre veuve dans leur simplicité toucheront une corde sensible au fond de l’âme de cette autre veuve noble et riche. Elle tendit affectueusement la main à l’humble femme qui savait la comprendre :

— Merci, je me rappellerai votre sympathie avec reconnaissance et je protégerai toujours Nellie ; comptez sur moi.

Avec quelle vivacité ces paroles, peu importantes au moment où elles étaient prononcées, lui revinrent-elles à l’esprit par la suite ! Le lendemain, qui était un dimanche, Wilfred assista au service par une dernière condescendance à la volonté paternelle. Il était seul dans le banc seigneurial et s’y tint gravement, pénétré d’une unique pensée, le souvenir de son père, le besoin de le revoir. Vers la fin de l’après-midi, il fit une visite au cimetière ; l’épaisseur des ifs et des cyprès dans ce champ du repos l’empêcha, jusqu’à ce qu’il eût atteint la balustrade qui fermait le tombeau de famille, d’apercevoir une femme occupée à semer des roses, les dernières de l’automne, sur la pierre funéraire nouvellement scellée. Au bruit du pas de Wilfred, cette femme se retourna ; un rayon de soleil égaré dans les lourdes branches d’un vert sombre mit une