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SOUVENIRS LITTÉRAIRES



QUATRIÈME PARTIE[1].


VII. — GUSTAVE FLAUBERT.

Né à Rouen, le 12 décembre 1821, Gustave Flaubert avait alors vingt et un ans. Il était d’une beauté héroïque. Ceux qui ne l’ont connu que dans ses dernières années, alourdi, chauve, grisonnant, la paupière pesante et le teint couperosé, ne peuvent se figurer ce qu’il était au moment où nous allions nous river l’un à l’autre par une indestructible amitié. Avec sa peau blanche légèrement rosée sur les joues, ses cheveux fins et flottans, sa haute taille, large des épaules, sa barbe abondante et d’un blond doré, ses yeux énormes, couleur vert de mer, abrités sous des sourcils noirs, avec sa voix retentissante comme un son de trompette, ses gestes excessifs et son rire éclatant, il ressemblait aux jeunes chefs gaulois qui luttèrent contre les armées romaines. Je m’imagine qu’ils étaient ainsi, impétueux, impatiens, dominateurs, et charmans néanmoins, car leur violence apparente n’était que l’emploi des forces que la nature leur avait départies. Gustave était un géant ; issu de Normande et de Champenois, il avait dans les veines, par un de ses ascendans qui avait vécu au Canada, quelques gouttes de sang iroquois dont il se montrait fier. Il était alors à Paris pour faire son droit ; il n’y avait nulle vocation et obéissait à la volonté de son père. Il suivait les cours de l’école, poussait l’abnégation jusqu’à prendre des notes et s’indignait du mauvais français que parlaient ses professeurs.

  1. Voyez la Revue du 1er juin, du 1er juillet et du 1er août.