Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette longue étape, c’est une fontaine ou plutôt une source remplie de femmes qui puisaient de l’eau et qui lavaient du linge. Toutes avaient une tournure d’une souplesse et d’une élégance rares, et le type de quelques-unes était remarquable. Groupées autour des rochers qui avoisinaient la source, elles formaient une sorte de pyramide féminine, pyramide bruyante et aux mille couleurs. On rencontre sans cesse en Orient des tableaux de ce genre ; partout où il y a de l’eau, on est sûr de voir des réunions pittoresques. On va à la fontaine, non-seulement pour y boire, mais pour s’y reposer, pour y faire la conversation, pour y fumer des narguilés. Les fontaines sont les véritables places publiques de ces chaudes contrées où l’on recherche par-dessus tout l’ombre et la fraîcheur. Ce n’est pas seulement à la fontaine d’ailleurs que je rencontrais des femmes d’un aspect intéressant, j’en trouvais sans cesse sur ma route. La plupart d’entre elles étaient simplement vêtues d’un lourd pantalon, d’une sorte de veste ouverte sur la poitrine, et de cette coiffure étrange dont j’ai parlé, espèce de bourrelet en fer à cheval, recouvert de pièces d’argent, qui encadre la figure d’une façon peu gracieuse. Parmi tous les vallons de la Samarie, celui qui m’a paru le plus charmant est le vallon de Béthulie, patrie de Judith. C’est une sorte de petite plaine circulaire entourée de mamelons dont les courbes molles sont d’une élégance ravissante. La ville s’élève sur l’un de ces mamelons. J’ignore si l’on y conserve la moindre relique de Judith, n’y étant point entré, mais j’ai peine à m’expliquer qu’une femme d’un caractère aussi résolu ait pu naître dans un pays où la nature est d’une douceur efféminée. Quand on a passé Béthulie, on s’engage dans une série de petites gorges étroites où les fleurs printanières débordent de tous côtés. Je n’y ai guère remarqué qu’un homme qui semblait y vivre en solitaire dans le costume peu compliqué du père Adam. J’ai cru d’abord à un grand singe, d’autant mieux qu’il ouvrait la bouche et me montrait ses dents, pour m’indiquer qu’il avait faim, avec un geste d’orang-outang. Mais c’était bien un homme renouvelant, en plein XIXe siècle, l’existence primitive des plus vieux anachorètes.

À l’extrémité de cette suite de gorges fleuries s’ouvre la plaine d’Esdrelon. On s’arrête à la petite ville de Djenine, qui la domine tout entière. La situation de Djenine est des plus pittoresques. La ville n’a rien de remarquable en elle-même, mais elle est environnée de cactus et de palmiers qui lui font une délicieuse ceinture de verdure. Une grande mosquée, au pied de laquelle s’étend un jardin dont les arbres sont magnifiques, domine le paysage de sa large coupole. Presque en face de la ville, sur une colline élevée, est placé le cimetière. C’est là que les bourgeois vont se promener